Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 7 juillet 2016

Théâtre : Baabou Roi d’Aristide Tarnagda au Cito


 
Baabou Roi (Hyacinthe Kabre) au centre, entouré de sa cour
 Sur un drame drôlatique de Wole Soyinka, Aristide Tarnagda crée un spectacle fort. Sur un rythme survolté, 26 comédiens font rire aux larmes en nous faisant vivre le rise and fall d’un Ubu africain. Plongée au cœur des intrigues de palais et dérives du pouvoir sur un mode farcesque.

Disons-le tout de go : cette pièce réconcilie le Cito avec les amateurs de grand théâtre qui étaient lassés des petites créations peu ambitieuses. Baabu Roi est vraiment la création majeure de cet espace en cette année2016. Avec Baabou Roi créé en 2001, le prix Nobel de littérature nigérian Wolé Soyinka poursuit sa dénonciation des dictatures. C’est l’histoire de Basha Bash, un soldat benêt que son ambitieuse et cupide femme, Maariya, pousse à renverser le Général Potiprout pour prendre le pouvoir.
Il se proclame roi Baabou (rien en Yorouba) et fait de son pays le Gouatou, une monarchie. Et commence alors une chevauchée sanglante pleine de bruit et de fureur qui va s’achever par la mort du roi, celui-ci ayant succombé à une overdose de rhinodisiaque. Un parcours fulgurant qui continue un cycle de violences politiques sans le clore…

Tout en optant pour la fidélité  au texte, Aristide Tarnagda propose  une mise en scène intelligente et austère, virevoltante qui rend magistralement  la folie, le grotesque et l’absurde de cette pièce ou meurtres entre amis, mensonges, gabegie, népotisme et prédation sont poussés au paroxysme. Pendant deux heures d’horloge, il promène sa trentaine de comédiens sur scène avec une maestria de général d’armée.  

Avec cette mise en scène, Artistide Tarnagda confirme qu’il est aussi bon dramaturge que metteur en scène. Au Burkina, on a vu ses mises en espace réussies de textes contemporains avec des personnages peu nombreux. Avec ce texte « classique » et cette pléthore de comédiens, on était dans l’expectative.
Il court une idée (reçue ?) selon laquelle ceux qui dirigent bien peu de comédiens auraient du mal avec une foule de comédiens. Comme si un droitier ne peut être que malhabile avec sa gauche. Pourtant on découvre ici un metteur en scène ambidextre. Comme un magicien, il  fait surgir une foule sur scène et la fait disparaître comme un corps volatil.

La First lady Maariya (Safoura Kaboré)
D’immenses comédiens portent cette farce hénaurme. D’abord Hyacinthe Kabré qui met son physique de géant au service de Baabou Roi, ramenant à notre souvenir des figures telles Eyadema ou Amin Dada. Et il y a Soufoura Kaboré dont l’interprétation du rôle de  Maariya restera dans les annales. Cette comédienne, au physique d’éternelle Lolita compose une First lady qui serait un croisement entre l’ambition de Lady Macbeth et  la cupidité de Mère Ubu avec tellement de vérité qu’elle s’exhausse au-dessus de tous les comédiens. Quant à Lamine Diarra, il distille un jeu minimaliste tout en économie et finesse, un jeu à l’opposé de l’exagération générale de ses comparses, ce qui donne du relief à Potiprout.   
D’où la frustration légitime des spectateurs quand après une performance de 2 heures, ces comédiens sont congédiés dans les coulisses sans être présentés au public pendant que le présentateur s’égosille sur des banalités autour de la pièce.





Le public rit beaucoup pendant ces deux heures. A cause du comique du texte qui met en œuvre une novlangue faite d’emprunts à Ubu Roi dont il se veut une réécriture, à Lady Macbeth et à Jules César de Shakespeare, et truffée de néologismes et de contrepèteries. On devine que Wole Soyinka l’a écrite dans une transe jubilatoire, utilisant l’art pour dénoncer les dictatures au Nigéria et du même coup se payer la tête de Sani Abacha : les similitudes entre Basha Bash et cet homme politique qui a contraint l’auteur à l’exil sont évidentes : d’abord  la proximité des noms et ensuite  leur mort.

Cette mise en scène réussit par l’usage du moore et par des clins d’œil à l’actualité nationale à mettre ce drame ubuesque en raccord avec l’histoire politique du pays des hommes intègres. Comment ne pas penser à la Transition après que Basha Bash s’est débarrassé du treillis pour un Faso Danfani et à la concussion de la société civile. Des officiers avaient rapidement remisé leur treillis du RSP au placard pour le costume en cotonnade pendant cette période.

Il serait cependant erroné de lire cette pièce comme une tragi-comédie africaine tant son universalité ne fait pas de doute. Donald Trump n’est-il pas le Cousin d’Amérique de Basha Bash de par ses excès, sa démagogie et sa vision très étriquée du monde ? Baabou Roi est à l’affiche au Cito jusqu’au 16 juillet 2016. Courez-y.