Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 31 juillet 2014

Adama Sallé. Disparition d’une étoile du cinéma burkinabè





Il avait 33 ans. Comme Alexandre le Grand. Mais il ne laisse pas derrière lui un vaste empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. Il commençait à se faire  un nom dans le monde du cinéma africain. Il laisse quelques films dont deux courts métrages  vus dans les festivals des trois continents et qui ont raflés beaucoup de prix : l’Or Blanc(2010) et Tao Tao (2013).

Adama Sallé était  Adama le Grand  à sa manière parce que des jeunes cinéastes burkinabè, il était le plus doué. Aussi sans craindre de tomber dans le dithyrambe et le mensonge qui sont les deux pieds sur lesquels avance la plupart des hommages posthumes, aurions-nous pu titrer cet article  La mort du jeune cinéma burkinabè tant ce jeune cinéaste représentait les espoirs du nouveau cinéma du pays. Il était l’Atlas qui portait sur ces épaules la possibilité d’un nouveau cinéma au Faso !

Nous l’avions découvert pendant la semaine de la critique organisée par l’association des critiques de cinéma du Burkina (ASCRIC-B). Pendant cette Nuit du court, on projetait des courts métrages jusqu’au petit matin. 

Parmi la flopée de films projetés cette nuit-là, un seul justifiait que l’on se soit privé de sommeil : l’Or Blanc de Adama Sallé. Une pépite au milieu des alluvions qui roulaient dans le ruisseau du cinéma burkinabè. Ce fut son premier film, un film d’école mais déjà une œuvre de maître. L’Or Blanc avait décroché le prix des écoles africaines de cinéma au Fespaco 2011. Séduit par la composition de l’image, l’art du montage, nous avions fait un papier élogieux qui s’attachait à l’analyse des plans. 

Nous écrivions dans cet article: « Ce premier film d’Adama Sallé est à saluer par la richesse de son langage cinématographique, par l’utilisation judicieuse de toutes les ressources de l’image à travers des plans variés, des mouvements de caméra, des compositions sémiotisantes et une maîtrise de la lumière digne d’un peintre. Avec ce jeune réalisateur, il y a des espoirs légitimes pour le renouvellement créatif de notre cinéma ! »

Cette aube-là, en sortant de la salle de projection du Cenasa (Centre national des arts du spectacle et de l’audio-visuel), les yeux en feu et recru de fatigue, nous étions heureux en regardant le jour vaincre les ténèbres de la nuit. Pendant que nous regardions les étoiles s’éteindre dans le ciel, dans le cinéma burkinabè  naissait une autre. 

Adama Sallé apportait de  l’éclat à un cinéma burkinabè devenu terne. C’était un artiste. Car il savait parler de la douleur sans maniérisme, de la tragédie sans cris, en la lovant dans le silence et dans le regard. Il savait susciter de la beauté comme si enfant il avait assis la beauté sur ses genoux.

Dans toute démarche de création artistique, il y a l’ars et la technè, le talent et le savoir-faire et plus le talent l’emporte sur le savoir-faire et plus on a  à faire à un défricheur de nouveaux territoires. D’un côté il y a le génial Mozart, de l’autre le besogneux Salieri ! 

Au cinéma aussi, il y a les Salieri qui font des films comme des joueurs de scrabble  assemblent des lettres en vue d’écrire un mot long et qui existent dans le dico. Et il y a les Mozart qui traitent  les images comme un mauvais scrabbleur alignerait des lettres, à la diable, sans souci du sens mais intéressés d’abord par l’originalité, la surprise, la poésie qui surgit de ces rencontres improbables. Adama Sallé était plus Mozart que Salieri, plus du côté du sensible que du sens.  Aussi sous le sens de l’Or Blanc, il y avait la percolation du sensible, du fluide poétique.

Après la mort du jeune cinéaste, nous avons revu son premier film. Et il y a un paradoxe dans la disparition d’un créateur. En effet, quand la mort couvre de son ombre un créateur, elle découvre un peu plus son œuvre et l’éclaire d’une lumière plus crue qui la révèle dans ses aspects les plus cachés. De sorte que de l’œuvre on perçoit l’essence comme si les aspects volatils se sont évaporés et les corpuscules flottants  se sont déposés au fond. Ainsi en va-t-il de l’Or Blanc désormais ! Ce qui autorise des lectures moins attendues. 

Ainsi cette histoire d’une quête inaboutie prend une dimension eschatologique. Cet homme qui gravit la montagne pour passer de l’autre côté, et meurt en chemin, juste au moment où il touchait au but, n’est-ce pas le réalisateur lui-même qui s’effondre au moment où il est sur le point de finir son premier long métrage ? Ce long métrage qui s’intitule Qui parle de vaincre ? est inspiré d’un vers du poète Rainer Maria Rilke extrait des Notes sur la mélodie des choses : « Qui parle de vaincre ? Ce qui compte, c’est survivre ». 

Adama Sallé est né en 1981 dans une famille d’agriculteurs dans un petit village du Burkina, sans une cuillère d’argent dans la bouche. Venu au cinéma au moment où faire du cinéma en Afrique s’apparente à gravir l’Everest sans sherpa et sans cordée, il était à force de travail et d’audace à deux doigts du toit du monde du cinéma: terminer son premier long métrage et entrer dans la cour des grands du septième art.

Le 21 juillet 2014 la mort l’a vaincu  mais son triomphe est modeste car les images d’Adama Sallé lui survivront…« Qui parle de vaincre ? Ce qui compte, c’est survivre », notait Rilke. 


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Maginfique.