Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 27 décembre 2012

Et si Mona Lisa était béninoise ?

L’écrivain béninois Florent Couao-Zotti est le commissaire d’une exposition de photographies inspirées de célèbres toiles de peintres tels Leonardo de Vinci, Pissaro, Gauguin. Ces grandes photographies composées d’après de célèbres toiles par trois photographes béninois posent le problème des rapports entre peinture et photographie, entre original et copie et montrent que la beauté se niche parfois là où on ne l’y attend pas. Les rapports entre la peinture et la photographie ont toujours été ambivalentes, oscillant entre la complicité et le rejet. Dès le 16 siècle, les peintres ont conçu la « camera obscura » pour résoudre le problème de la perspective sur une surface plane. De manière générale, les peintres ont vu dans l’invention de la photographie au 19°siècle un moyen de fixer le réel et l’instant avant de le porter sur la toile. D’ailleurs beaucoup de peintres ont utilisé le daguerréotype et même la photographie. Il est connu que la peinture a réussi à peintre avec justesse un corps en mouvement après l’invention de la photographie : Il n’est pas anodin que ce soit au 19°siècle (siècle de la photographie !) avec Degas que le cheval au galop sera peint avec justesse bien que cet animal hanta la peinture depuis ses débuts. Et il n’est pas un mystère que Gauguin a beaucoup emprunté aux photographies de Charles Spitz pendant sa période polynésienne. Néanmoins l’intérêt de l’exposition de Florent Couao-Zotti réside dans l’inversion du rapport. Ce n’est plus la peintre qui utilise l’image photographique mais le contraire. Et c’est une relecture de la peinture occidentale par les artistes africains Clovis Agbahoungba, Charles Tossou et Eric Ahounou Une réappropriation de toiles d’une autre époque par des contemporains. Ce chassé-croisé entre deux arts de l’image, entre Occident et Afrique et entre passé et présent est une démarche interculturelle qui insuffle de la fraicheur et un certain éclat à ces œuvres installées dans la patine de leur légende. Et soulève des questions fort intéressantes.
Ainsi le visiteur qui comparerait La Mona Lisa béninoise à l’original de Leonard de Vinci aura le sentiment que le modèle béninois est bien plus beau. On comprend pourquoi les beautés ébène ont toujours inspirées les poètes et mêmes les plus placides comme Léopold Sédar Sanghor. Ce qui autorise cette affirmation : Si Mona Lisa avait été béninoise, elle eut été plus belle.
Les Laveuses de Pissarro peint à Eragny se muent en de plantureuses africaines habillées de chaudes couleurs qui essorent le linge dans une lagune où l’écume blanchâtre du savon dessinent des vaguelettes d’argent sur la nappe sombre de l’eau. En termes de richesse de la palette, la photographie dame le pion au tableau. Quelquefois aussi, la toile garde sa suprême poésie et la photographie lui court après. Comme les Femmes de Tahiti de Gauguin, belles de sérénité et d’abandon face à deux dames de la photographie que l’on sent si raides, figées comme des statues. Tandis que les femmes de Gauguin sont si lègères.
Bien que Baudelaire dont on n’aurait jamais connu la gueule fracassée si Nadar ne l’avait photographié, traita la photographie de « servante de la peinture » cette expo prouve que la peinture aussi peut être serve de la photo et que cette dernière peut s’élever au-dessus de la peinture.

lundi 24 décembre 2012

Abou Sidibé et les quarante sculptures


La Rotonde de l’Institut français est devenue une caverne d’Ali Baba pleine de sculptures sur bois de toutes les tailles et de toutes les formes. C’est la somme d’une décennie de création continue qu’Abou Sidibé qu’expose depuis le 7 décembre 2012 à l’Institut Français de Ouagadougou. Des sculptures étranges. « Rien n’est plus fatiguant que d’expliquer ce que tout le monde devrait savoir », disait Baudelaire. Abou Sidibé doit ressentir de la lassitude face aux rafales de questions de visiteurs auxquels il doit expliquer chacune de ses sculptures. A cause du sentiment d’étrangeté qui naît face à ces œuvres bizarres qui sont des assemblages hétéroclites de planches de bois, de métal, de cordes, de cornes, de morceaux de plastique. Une profusion d’objets collés sur des colonnes ou de large pièce de bois qui donnent à ces créations une allure totémique. Ces sculptures sont posées sur du sable ou de la poudre de granit, une mise en scène qui renforce l’atmosphère de mystère ou de sacré qui les entourent. Au sol, l’artiste a réalisé une installation avec les différents éléments qui entrent dans la composition des œuvres. Un capharnaüm qui ressemble à une décharge publique tant les éléments sont hétéroclites, dérisoires et usés. La plupart des œuvres ont pour charpente une pièce de bois sculptée et selon l’inspiration de l’artiste, ce bois est soit emballé avec de la ficelle ou peint ; et il y associe des morceaux de ferraille, des bracelets, des statuettes de bronze ou des rebuts tels des cornes de taureaux. Certaines œuvres rompent néanmoins avec cette omniprésence du bois. Ainsi on a une série des puisettes sur lesquelles l’artiste a collé des objets de récupérations. D’autres sont de petites sculptures, des gris-gris selon l’artiste, qui ont des formes zoomorphes, rappelant un insecte, un oiseau ou quelque quadrupède. Ces gris-gris qui se balancent au-dessus des têtes des visiteurs ressemblent à des scarabées, des poussins et à des animaux monstrueux. Les dernières créations de l’artiste relèvent plus du simple assemblage que de la sculpture car l’artiste se contente d’associer des troncs pour faire naitre des formes. Comme si après une décennie passée à attaquer le bois au burin et au marteau pour délivrer les formes qui s’y dissimulaient, l’artiste est arrivé au bout de son itinéraire à un rapport pacifié avec la matière : le bois vient avec sa forme, l’artiste se contente d’organiser la rencontre des formes. Pareil à ces chasseurs Dozos qui de tueurs de fauves deviennent à la fin des dompteurs.
D’ailleurs ses œuvres font références aux chasseurs Dozos et à la culture manding d’où l’artiste puise son inspiration tout en s’inscrivant dans la modernité. Les titres des œuvres sont énigmatiques et font penser au mot de Georg Christoph Lichtenberg « un couteau sans lame auquel il manque le manche » tant le lien logique entre les titres des œuvres et les réalités qu’ils sont censés désignés sont difficiles à identifier. Toutefois, avec un peu d’opiniâtreté, le lien finit par émerger de la brume et tout s’éclaircit. A l’exemple des trois sculptures assez identiques faites de colonne de bois surmontées de marmites brisées avec des cornes dont les formes finissent par évoquées des filles comme l’indiquaient les titres. Les mystérieuse sculptures d’Abou Sidibé sont exposées jusqu’au 29 décembre à l’Institut français. C’est un univers étrange, une forêt de sculptures auréolée de mystère. Abou Sidibé serait-il le sculpteur qui redonne à la statuaire moderne le caractère sacré de la sculpture africaine. Un sacré qui serait irréligieux parce que privé de divinités ?