Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 27 décembre 2012

Et si Mona Lisa était béninoise ?

L’écrivain béninois Florent Couao-Zotti est le commissaire d’une exposition de photographies inspirées de célèbres toiles de peintres tels Leonardo de Vinci, Pissaro, Gauguin. Ces grandes photographies composées d’après de célèbres toiles par trois photographes béninois posent le problème des rapports entre peinture et photographie, entre original et copie et montrent que la beauté se niche parfois là où on ne l’y attend pas. Les rapports entre la peinture et la photographie ont toujours été ambivalentes, oscillant entre la complicité et le rejet. Dès le 16 siècle, les peintres ont conçu la « camera obscura » pour résoudre le problème de la perspective sur une surface plane. De manière générale, les peintres ont vu dans l’invention de la photographie au 19°siècle un moyen de fixer le réel et l’instant avant de le porter sur la toile. D’ailleurs beaucoup de peintres ont utilisé le daguerréotype et même la photographie. Il est connu que la peinture a réussi à peintre avec justesse un corps en mouvement après l’invention de la photographie : Il n’est pas anodin que ce soit au 19°siècle (siècle de la photographie !) avec Degas que le cheval au galop sera peint avec justesse bien que cet animal hanta la peinture depuis ses débuts. Et il n’est pas un mystère que Gauguin a beaucoup emprunté aux photographies de Charles Spitz pendant sa période polynésienne. Néanmoins l’intérêt de l’exposition de Florent Couao-Zotti réside dans l’inversion du rapport. Ce n’est plus la peintre qui utilise l’image photographique mais le contraire. Et c’est une relecture de la peinture occidentale par les artistes africains Clovis Agbahoungba, Charles Tossou et Eric Ahounou Une réappropriation de toiles d’une autre époque par des contemporains. Ce chassé-croisé entre deux arts de l’image, entre Occident et Afrique et entre passé et présent est une démarche interculturelle qui insuffle de la fraicheur et un certain éclat à ces œuvres installées dans la patine de leur légende. Et soulève des questions fort intéressantes.
Ainsi le visiteur qui comparerait La Mona Lisa béninoise à l’original de Leonard de Vinci aura le sentiment que le modèle béninois est bien plus beau. On comprend pourquoi les beautés ébène ont toujours inspirées les poètes et mêmes les plus placides comme Léopold Sédar Sanghor. Ce qui autorise cette affirmation : Si Mona Lisa avait été béninoise, elle eut été plus belle.
Les Laveuses de Pissarro peint à Eragny se muent en de plantureuses africaines habillées de chaudes couleurs qui essorent le linge dans une lagune où l’écume blanchâtre du savon dessinent des vaguelettes d’argent sur la nappe sombre de l’eau. En termes de richesse de la palette, la photographie dame le pion au tableau. Quelquefois aussi, la toile garde sa suprême poésie et la photographie lui court après. Comme les Femmes de Tahiti de Gauguin, belles de sérénité et d’abandon face à deux dames de la photographie que l’on sent si raides, figées comme des statues. Tandis que les femmes de Gauguin sont si lègères.
Bien que Baudelaire dont on n’aurait jamais connu la gueule fracassée si Nadar ne l’avait photographié, traita la photographie de « servante de la peinture » cette expo prouve que la peinture aussi peut être serve de la photo et que cette dernière peut s’élever au-dessus de la peinture.

lundi 24 décembre 2012

Abou Sidibé et les quarante sculptures


La Rotonde de l’Institut français est devenue une caverne d’Ali Baba pleine de sculptures sur bois de toutes les tailles et de toutes les formes. C’est la somme d’une décennie de création continue qu’Abou Sidibé qu’expose depuis le 7 décembre 2012 à l’Institut Français de Ouagadougou. Des sculptures étranges. « Rien n’est plus fatiguant que d’expliquer ce que tout le monde devrait savoir », disait Baudelaire. Abou Sidibé doit ressentir de la lassitude face aux rafales de questions de visiteurs auxquels il doit expliquer chacune de ses sculptures. A cause du sentiment d’étrangeté qui naît face à ces œuvres bizarres qui sont des assemblages hétéroclites de planches de bois, de métal, de cordes, de cornes, de morceaux de plastique. Une profusion d’objets collés sur des colonnes ou de large pièce de bois qui donnent à ces créations une allure totémique. Ces sculptures sont posées sur du sable ou de la poudre de granit, une mise en scène qui renforce l’atmosphère de mystère ou de sacré qui les entourent. Au sol, l’artiste a réalisé une installation avec les différents éléments qui entrent dans la composition des œuvres. Un capharnaüm qui ressemble à une décharge publique tant les éléments sont hétéroclites, dérisoires et usés. La plupart des œuvres ont pour charpente une pièce de bois sculptée et selon l’inspiration de l’artiste, ce bois est soit emballé avec de la ficelle ou peint ; et il y associe des morceaux de ferraille, des bracelets, des statuettes de bronze ou des rebuts tels des cornes de taureaux. Certaines œuvres rompent néanmoins avec cette omniprésence du bois. Ainsi on a une série des puisettes sur lesquelles l’artiste a collé des objets de récupérations. D’autres sont de petites sculptures, des gris-gris selon l’artiste, qui ont des formes zoomorphes, rappelant un insecte, un oiseau ou quelque quadrupède. Ces gris-gris qui se balancent au-dessus des têtes des visiteurs ressemblent à des scarabées, des poussins et à des animaux monstrueux. Les dernières créations de l’artiste relèvent plus du simple assemblage que de la sculpture car l’artiste se contente d’associer des troncs pour faire naitre des formes. Comme si après une décennie passée à attaquer le bois au burin et au marteau pour délivrer les formes qui s’y dissimulaient, l’artiste est arrivé au bout de son itinéraire à un rapport pacifié avec la matière : le bois vient avec sa forme, l’artiste se contente d’organiser la rencontre des formes. Pareil à ces chasseurs Dozos qui de tueurs de fauves deviennent à la fin des dompteurs.
D’ailleurs ses œuvres font références aux chasseurs Dozos et à la culture manding d’où l’artiste puise son inspiration tout en s’inscrivant dans la modernité. Les titres des œuvres sont énigmatiques et font penser au mot de Georg Christoph Lichtenberg « un couteau sans lame auquel il manque le manche » tant le lien logique entre les titres des œuvres et les réalités qu’ils sont censés désignés sont difficiles à identifier. Toutefois, avec un peu d’opiniâtreté, le lien finit par émerger de la brume et tout s’éclaircit. A l’exemple des trois sculptures assez identiques faites de colonne de bois surmontées de marmites brisées avec des cornes dont les formes finissent par évoquées des filles comme l’indiquaient les titres. Les mystérieuse sculptures d’Abou Sidibé sont exposées jusqu’au 29 décembre à l’Institut français. C’est un univers étrange, une forêt de sculptures auréolée de mystère. Abou Sidibé serait-il le sculpteur qui redonne à la statuaire moderne le caractère sacré de la sculpture africaine. Un sacré qui serait irréligieux parce que privé de divinités ?

lundi 12 novembre 2012

Des fourmis et des hommes

Dans le cadre du Carrefour des arts plastiques de Ouagadougou qui se déroule du 19 octobre au 11 novembre, la villa Yiri Suma accueille les œuvres de trois peintres togolais dont celles d’Adokou Kokouvi. Il s’agit de neuf toiles qui montrent des fourmis dans des scènes anthropomorphiques. Un théâtre drolatique et satirique. Arthur Rimbaud disait dans les Illuminations : « Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j’ai connu le monde, j’ai illustré la comédie humaine ». Il suffit parfois de promener le regard dans un réduit ou sur une petite parcelle de terre pour arriver à l’intelligence du monde. En posant un instant les yeux sur le sol, l’homme découvre que sous sa godasse, il y a un univers grouillant de vie, beaucoup d’êtres industrieux et organisés. C’est ce qu’a fait Adokou Kokouvi, un jeune peintre togolais, pas encore trentenaire, qui vit et travaille à Ouaga depuis trois ans. Enfant ayant grandi au village, il lui arrivait de s’allonger dans l’herbe, d’’approcher le nez du sol pour assister à un spectacle fabuleux. Des fourmis passant leur chemin par milliers, luttant avec des charges plus lourdes qu’elles, obstinées, passant tous les obstacles, allant et venant dans une longue marche vers la fourmilière. Ces lilliputiens que nous piétinons sans voir, il a décidé d’en faire les personnages d’un opéra comique en neuf tableaux. Comique parce qu’il les croque dans des attitudes anthropomorphiques inattendues. Ainsi sur la toile baptisée « Le Couple » on voit un couple de fourmis plongées dans la lecture d’un journal, l’autre « La Causerie » met en scène des fourmis dans une discussion fort animée au vu de la posture et de la physionomie des protagonistes, ailleurs, la reine de la fourmilière est entourée de quelques personnages à la mine patibulaire, certainement la garde rapprochée. Le trait de l’artiste est assez proche de la caricature par l’exagération dans l’esquisse de certains traits morphologiques. Les yeux sont deux globes fendus d’une incise posés sur la tête, la bouche est ronde comme un O ou allongée d’un dard, les pattes se terminent en sabot ou en soulier. Il y a quelque chose d’enfantin dans ces dessins qui rappellent les bonshommes que peignait Jean Marie Basquiat, le prodige haïtien précocement décédé. Sur ces toiles, Adokou kokouvi utilise de coupures de journaux, du papier mâché et des pigments. Il écrit aussi des fragments de texte au pastel dont on peut décrypter quelques lettrines ou mots mais l’ensemble se perd dans le gribouillis. Ces tableaux sont aérés, diffusent quelque chose de lumineux car le noir et le gris sont atténués par des pointillés de bleu, des bandes de jaune ou des tirets rouges. L’idée d’accrocher cet opéra fabuleux au niveau du premier étage de la maison a été heureuse et aussi celle de mettre les neuf tableaux dans un carré de trois tableaux sur trois. Cela oblige le regardeur à lever les yeux au ciel. Une façon de suggérer que l’art a le pouvoir d’inverser les rôles. L’homme ne baisse plus le regard pour voir les fourmis, il est contraint de lever la tête pour le voir. En outre, pour mieux voir ses toiles dans le détail, le spectateur doit monter l’escalier en colimaçon et même se pencher quelque fois dans le vide dans une position inconfortable. L’art inverse ainsi le rapport de domination. Ce regroupement des toiles autorise des associations et génère un récit interprétatif des neuf toiles comme une unité. Ainsi, ces toiles font songer à une fourmilière avec ses différents niveaux, ses soldats, ses ouvrières, sa reine et ses galeries, ses entrepôts, ses systèmes d’aération et d’évacuation de déchets. Et cette fourmilière suspendue évoque un HLM avec des locataires dans leurs appartements. Le spectateur a l’impression de coller le nez à la vitre d’un appartement et d’observer les habitants dans leur vie quotidienne. Et là est justement la satire sociale ! Car un HLM n’est pas une fourmilière. Chaque appartement est une cellule étanche, chaque famille est une île défendue par ses quatre murs. Ainsi, en prenant prétexte de la myrmécologie, le jeune peintre fait une subtile critique de la destruction du lien entre les hommes. En invitant les fourmis sur ses toiles, Adokou kokouvi nous rappelle que nous cohabitons avec d’autres espèces et que nous avons même des leçons à prendre avec le monde animal. Une démarche écologiste et critique de la part d’un jeune artiste dont la technique est intéressante et prometteuse. Toutefois, l’influence de Jean Michel Basquiat est trop présente dans ces toiles ; il faut donc espérer que l’artiste se débarrasse d’une telle tutelle et trace sa propre route. Comme une fourmi !

samedi 27 octobre 2012

Trafiquée : L’insoutenable réalité de la prostitution

Trafiquée est un texte d’Emma Haché mis en scène par Cedric Brossard avec la comédienne Yaya Mbilé qui campe une prostituée. Elle était sur la scène de l’Espace Gambidi le 12 octobre 2012.Sa parole est un fil d’Ariane qui entraine le spectateur dans les dédales sordides de la prostitution. Cette pièce est une plongée dans l’enfer des marchandes de sexe. Sur scène, entre un canapé, une table de travail, un seau et un miroir, une dame dont on ne saura jamais le nom, va d’un objet à l’autre, tout en parlant. Une giclée de mots crus, violents, percutants qu’elle éructe comme pour se décharger d’un trop plein de souffrance longtemps tue. Des mots corrosifs qui désagrègent le voile qui cache le dur univers de la prostitution et nous le révèle dans toute sa cruauté avec ses souteneurs, ses clients et ses pauvres filles. A quatorze ans, elle se retrouve sur le trottoir, vendue à Godzilla, un maquereau, qui pendant une dizaine d’années va l’exploiter, la soumettant aux pires sévices sexuels, l’offrant à une armée d’hommes plus sauvages les uns que les autres. Son laïus est un « J’accuse » qui serait dit par Nana et non par Zola. Le texte est un kaléidoscope, des fragments de vie tout disparates arrivent sans lien apparent comme surgie d’une conscience meurtrie et qui mis bout à bout reconstituent une mosaïque qui révèle l’hypocrisie du monde. Ses bourreaux, ce sont des hommes comme il faut, des pères de famille attentionnés dans leur foyer, des hommes qui ne disent jamais un gros mot dans la vie quotidienne et qui, dans une chambre de prostituée, deviennent des brutes grossières, violentes qui torturent et saccagent un corps d’enfant. Excédé, usée comme une corde sur le point de rompre, violée, battue, elle commettra un meurtre pour mettre fin au calvaire. En prison, aussi paradoxal que cela paraisse, elle se sent libre car si les barreaux la soustraient de la société, ils la mettent à l’abri des bourreaux. Trafiquée est un texte fort. La mise en scène de Cédric Brossard très austère et fixe laisse la latitude au texte de se déployer dans toute sa force. Le grain de voix de yaya Mbilé, si habile à injecter l’émotion, la souffrance autant que la joie, dans les interstices de cette prose douloureuse lui donne un aspect sombre avec des fulgurances de lumière. Quand elle évoque son quotidien avec son défilé de brutes qui écrasent son corps sous le poids de leurs déviances et qu’une grosse larme roule sur sa joue éclairée par le spot, le spectateur tout est bouleversé. Le jazz de Coltrane qui sanglote à côté du texte en accentue le pathos. Le simple éclairage au néon, qui saisit dans des petites parcelles de lumière crue, là l’ovale du visage, ici le fessier, la poitrine ou le galbe d’une cuisse participe du dépeçage du corps et de sa négation comme entièreté pour en faire juste une juxtaposition de morceaux érogènes, ce qui renforce le sentiment de chosification de la prostituée. Même si le texte est d’une noirceur terrible, il n’est pas fermé à l’espérance et on y sent une progression des souterrains de la violence sexuelle vers les lumières, une sorte de remontée vers la liberté. Et ce cheminement du plus noir de la vie jusqu’à la prison-refuge est inscrit dans les tons des costume de la comédienne. Le lycra noir qui moulait ses chairs, lui donnait l’air d’une ombre au début, au finale, elle flotte dans une ample robe jaune fleurie. Jaune comme le soleil, jaune comme un tournesol qui tend sa corolle vers le rayon de soleil qui passe par les barreaux. Comme si la larve noire du trottoir, à force de catharsis par le fleuve verbal et de purification par les récurrentes toilettes lustrales, s’était imperceptiblement muée en un beau papillon… Nietzsche disait que le bas ventre était cause que l’homme avait des difficultés à se prendre pour un Dieu. Avec ce que nous montre cette pièce, on soupçonnerait le philosophe de grande indulgence envers le mâle car il ne s’agit pas de prétendre à la divinité mais de se demander si le dessous de la ceinture ne fait pas de l’homme un monstre froid.

mercredi 17 octobre 2012

Les chasseurs DOZO de Philippe Bordas

Après avoir côtoyé les boxeurs à mains nues d’un bidonville de Nairobi et les lutteurs sénégalais, le photographe français Philippe Bordas s’est, cette fois, plongé dans la confrérie des chasseurs Dozos et en a tiré de superbes photos qui nous entrouvrent les portes du monde fermé de cette communauté multiséculaire.
Cette expo photos est à l’Institut français de Ouaga jusqu’au 20 octobre 2012. Do-zo, deux syllabes dont l’écho renvoie dans l’imagerie populaire à une société secrète, suscitant du même coup crainte et admiration. En effet, les Dozos ont constitué l’armée d’élite de l’empereur Soundjata Kéita au 13 siècle. Dispersés aux quatre vents après le délitement de l’empire Manding qui s’étendait de la Gambie au Sénégal, du Libéria à la Sierre Leone, de la Côte d’Ivoire à la Guinée, du Burkina Faso au Mali. Depuis l’époque médiéval, ces hommes ont préservé leur mode de vie et perpétuent une aristocratie des armes et du savoir à travers l’art de la guerre, la science des plantes et de l’astrologie et l’art musical et sont les dépositaires de l’histoire du Manding. C’est muni d’un Leica argentique que le photographe a suivi ces guerriers lors des parties de chasse dans la nuit d’encre, s’enfonçant au cœur de la forêt dont ils connaissent le moindre arpent et qu’ils lisent comme un livre ouvert, pendant les veillées autour d’un brasero où ils content le mythe fondateur du Mandé, et dans les soirées où en musiciens virtuoses, ils jouent et chantent le répertoire oral du Mandé. Tous ces aspect de la vie du Dozo se retrouvent dans les photos géantes de plus de trois mètres sur trois, qui comme une ceinture d’amulettes, font le pourtour de la Rotonde, le salle d’exposition de l’Institut français. On y voit les chasseurs dans leurs tenues ocres, rouge latéritique comme s’ils sortaient de terre, tenant leur vieux fusils dans des poses variées. D’emblée, on distingue trois classes de Dozos et trois caractères: les vieux chasseurs, les jeunes adultes et les pousses. Sur les photos, de vieux chasseurs, debout pieds nus ou assis en tailleur dans une case nue dont le dépouillement dénote de la vie ascétique du propriétaire du lieu. Par ailleurs la sérénité de leur regard dans le visage hiératique est le signe que ces vieux hommes ont trempé le métal de leur âme dans une existence spartiate faite de sacrifice et de don de soi à la communauté. D’autres, plus jeunes posent fièrement avec des hyènes, des biches ou des tortues tenus en laisse et des boas qui s’enroulent autour de leur cou. Quant aux plus jeunes, ils arborent avec joie des fusils plus grands qu’eux. Emouvant, l’image d’un pré-adolescent dont le regard hésite entre l’effroi et la fierté de sentir le froid d’un corps de serpent s’entortillant autour de son cou si fragile. Face à la vieille génération, sorte de samouraïs au service d’une cause, il y a les jeunes qui semblent devenus des combattants sans cause. Dans le vrai Dozo, il y a la quête de la dureté et la pureté du diamant du surhomme dont parlait Nietzsche ; malheureusement il y a le risque que les flammes de la modernité lèchent ce diamant et le transforme en un morceau de charbon, friable et sans valeur. Aussi peut-on déceler chez quelques jeunes, dans leur regard crâneur et ayant des Rangers aux pieds et le pantalon treillis affleurant sous la tenue traditionnelle, des signes du dévoiement des valeurs Dozo. Les guerres au Libéria, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire ont, en effet, montré que ces protecteurs de la veuve et de l’orphelin pouvaient déchoir en devenant des tueurs en série au service de chefs de guerre. A travers ces photos Philippe Bordas a réussi à dresser de cette armée un portrait mythique et humain. Mais au-delà de la beauté des images, cette expo interroge sur le devenir de cette confrérie qui a réussi à survivre pendant des siècles mais qui n’est néanmoins pas à l’abri d’une disparition prochaine dans une Afrique convertie à des valeurs diamétralement opposées aux siennes. Et la photo d’Idrissa Traoré, le vieux chasseur qui a introduit le photographe dans la confrérie, où on voit la silhouette du vieux chasseur de dos, le bicorne sur la tête lui donnant l’air d’une étrange bête à cornes telle un minotaure qui s’enfonce dans la brousse a quelque chose de crépusculaire. En somme, qu’est-ce que l’Afrique moderne, prise dans les turbulences, peut tirer des valeurs de cette confrérie qui a édicté la charte du Manden en 1222, soit cinq siècles avant la déclaration universelle des droits de l’homme, et qui pratique un fédéralisme qui nie les frontières nationales tout en montrant que l’homme doit apparier le savoir scientifique et le pouvoir à une droiture morale? C’est, sans doute, une source de savoir et d’éthique à laquelle l’Afrique contemporaine doit s’abreuver.

mercredi 19 septembre 2012

Le cinéma scrute l’histoire burkinabè

Ce documentaire de Dimanche Yaméogo est une production Semfilms. La caméra piste Boukary Kaboré dit le Lion, officier de l’armée burkinabé, frondeur après le putsch du 15 octobre 1987 qui, depuis son retour, mène une double vie de chef de parti et de cultivateur. Un film sur une période trouble de l’histoire récente. Les images film montrent que Boukary Kaboré n’a pas usurpé son surnom de lion. La barbe et la chevelure forment une blanche crinière qui cerne un visage léonin avec des yeux de braise. La taille est haute, les bras puissants, les mains immenses avec des doigts démesurées. Du roi de la brousse, il a aussi les colères rugissantes et la dent dure. Il découvre vite les dents pour mordre surtout lorsqu’il évoque l’arrêt de la Révolution d’août 83. La caméra suit le Lion et dessine le portrait d’un homme de soixante-deux ans qui a eu plusieurs vies. D’abord l’enfance dans un village de Koudougou, puis la venue à Ouaga au Prytanée militaire où il rencontre Thomas Sankara, la découverte du sport qui révèle ses qualités de champion dans beaucoup de sports de main comme le lancer de javelot, le saut en hauteur et enfin l’influence d’Adama Touré, syndicaliste et professeur d’histoire qui sèmera la graine marxiste dans la tête de ses jeunes élèves qui deviendront, quelques années plus tard, les leaders de la Révolution d’août 83. On suit le capitaine redevenu cultivateur labourant son champ avec des ouvriers pour trouver sa pitance et aussi en réunion politique avec ses militants mais son parti sankariste ne semble pas ratisser au-delà du cercle des anciens compagnons d’armes. Ce film revient surtout longuement sur la période révolutionnaire , en ces temps où Boukary le Lion était chef du BIA−le Bataillon d’intervention aéroporté de Koudogou−et sur les jours qui suivirent le putsch du 15 octobre 1987 avec son entrée en résistance où il annonçait, sur les ondes de Radio France internationale (RFI), que lui et son demi-millier de paras s’opposaient au nouveau régime du Front populaire dirigé par Blaise Compaoré. Une offesive de l’armée loyaliste sur la ville de Maurice Yaméogo laisserait des souvenirs amers. Le Lion réussit à s’éclipser au Ghana. Cette fuite qui a contribué à bâtir sa légende est reconstituée dans le film ; on voit le Lion, lunettes noires et un keffieh palestinien autour de la tête, roulant sur une mobylette CT à travers des pistes vicinales. Son retour sur la tombe commune où reposent ses compagnons d’armes est un moment de vérité du film car c’est seulement là que la cuirasse de marbre du Lion se fissure, on découvre dans la voix qui bafouille et dans le regard triste, l’extrême solitude et la culpabilité du survivant. Après la version officielle de la fin de la Révolution délivrée par les vainqueurs, ce film donne une autre version, celle du Lion. Pour autant, la vérité historique n’est pas rétablie, non que Boukary Kaboré ne soit pas sincère dans sa lecture des évènements mais parce que cela n’entrait pas dans la préoccupation du réalisateur. L’eut-il souhaité qu’il eut triangulé la version du personnage principal avec d’autres versions, ce qui aurait permis de mieux cerner les contours de l’époque et de capter les lignes de partage entre les différents protagonistes. Même la version du Lion aurait été mieux servie s’il avait donné la parole à d’autres témoins, recouru aux coupures de presse et aux documents audio-visuels de l’époque. Mais le réalisateur a choisi de servir la geste du Lion à travers l’œillère du Lion. Ce docu de 52 minutes a néanmoins le mérite de mettre le projecteur sur un pan méconnu de notre histoire malgré son caractère hagiographique qui limite sa portée en tant que document historique. Toutefois, on peut bien s’accommoder des petits arrangements avec la vérité, si cela peut servir à donner une dimension héroïque aux protagonistes de notre histoire nationale et à offrir à la jeune génération des modèles et des motifs de fierté. C’est à ce prix que se construit une nation selon Renan qui disait dans Qu’est-ce qu’une nation ? que « l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien de choses». Ce film est-il le présage que notre cinéma va s’intéresser enfin à notre histoire ? Il faut l’espérer car le cinéma, la fiction bien plus que le documentaire, peut aider à bâtir la nation qui, comme le septième art, est une image projetée avant d’être une réalité. Et le cinéma a la capacité de construire de grands récits et des mythes autour desquels tous les Burkinabè peuvent se retrouver. « On peut violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants », concédait Alexandre Dumas.

jeudi 30 août 2012

A la poursuite de l’Empreinte du Renard

C’est un lecteur qui poursuit un livre insaisissable qui se dérobe à chaque fois qu’il croit le tenir. Chassé-croisé entre un livre et un lecteur.


A la gare TCV de Ouagadougou, l’homme, la quarantaine, ne tenait pas en place et trépignait comme un cheval fougueux. Dès qu’il vit que nous nous intéressons à son manège, les yeux brillants, il tendit la main vers une jeune dame et murmura, extatique : l’Empreinte du Renard. Un livre dépassait de la grosse poche de sa saharienne. A travers ces propos qui se bousculaient, sous l’émotion, jaillissant dans un flot impétueux, nous avons compris que ce livre l’obsédait depuis cinq ans. Il nous expliqua qu’il est des livres que l’on croise un jour, le regard posé sur la couverture et qui vous file sous les yeux. Livre vu, entraperçu, couru mais jamais lu. Pour lui, ce livre impossible est L’Empreinte du Renard de Moussa Konaté paru aux Editions Points en 2006.
Tout a commencé il y a cinq années dans un hôtel de Mopti. Le livre était posé sur le comptoir devant la dame de la réception. Il était là, luisant dans sa noire couverture, le titre en lettre d’or brillant d’un sombre éclat. La photo du renard, les yeux étincelants. D’emblée, il avait senti l’envie de posséder ce livre, de l’ouvrir et d’y poser fiévreusement les yeux. Mais la réceptionniste lui expliqua que le roman avait été laissé en consigne par une Française qui était partie dans les falaises de Bandiagara. Il aurait pu attendre le retour de celle-ci mais il devait aussi partir au pays Dogon. Aussi se jura-t-il de se procurer le livre dès son retour à Ouaga. Aucune librairie de la Capitale des « Hommes intègres » n’avait L’Empreinte du Renard en rayon…

Deux ans plus tard, il croisa de nouveau le fameux polar malien. Au Sénégal. A Saint –Louis, la belle île indolente qui a ses pieds dans l’eau et la tête dans le passé, vivant dans la nostalgie d’une époque révolue : celle des belles signares qui doraient au balcon de leurs vastes demeures, le regard soyeux, le maintien altier, un éventail à la main, les bijoux étincelants comme des lucioles. De ce passé, il ne restait que des demeures vieillottes que l’Unesco tente de sauver de la ruine. C’est dans l’une d’elles, transformée en galerie que Le liseur revit avec une émotion inentamée L’Empreinte du renard. Le roman était parmi d’autres livres sur une étagère d’un petit meuble métallique à même la pelouse du jardin.
Et une année après, à Casablanca. En transit avec Royal Air Maroc pour le Burkina, il vit un voyageur, jeune freluquet, look hippie, piercing et tatouage abondants, qui était couché à même le froid carrelage de l’aéroport, la tête sur son sac marin qui tenait lieu d’oreiller, un livre sur le visage. Le livre était… L’Empreinte du Renard… Dès qu’il s’approcha, il entendit le ronflement régulier du jeune. Hésitant entre le réveiller et lui piquer son bouquin, il décida qu’il était plus sage de renoncer au vol qui pouvait le précipiter dans les geôles marocaines réputées aussi terrifiantes que la descente dans les cercles de l’Enfer de Dante.

Et voilà que dans la gare TCV, la Providence le met en ce jour-là devant l’insaisissable roman. Cette fois-ci, il espère que c’est la fin de la traque. Il a rapidement élaboré un scénario pour récupérer le Graal auprès de la jeune femme en saharienne. Comme le voyage jusqu’au Benin dure une journée, il pourra attendre que la jeune femme achève le livre avant de lui proposer de l’acheter.
Pourtant quelque chose nous dit que Le Liseur ne fera rien pour enfin avoir ce livre tant quêté mais jamais obtenu. L’Empreinte du Renard lu, il ne lui restera aucune soif, aucune faim d’un autre livre. Et cela, inconsciemment, il ne doit pas le vouloir.
Saïdou Alcény Barry

mardi 19 juin 2012

Dans les coulisses de la création de Johan Muyle

Histoire d’artistes est une collection de documentaires réalisée par Virginie Cordier. Un court métrage de la collection est consacré à l’artiste sculpteur belge Johan Muyle. Ce film introduit le spectacle dans les coulisses de la création, dans l’atelier du créateur et de suivre pas à pas le processus de création de ses œuvres.

Les artistes partagent avec les cuisiniers la coquetterie de cacher le lieu où ils travaillent. L’atelier comme la cuisine est soustrait au regard du public. Calme bloc ici-bas chu d’un obscur désastre disait Mallarmé de l’œuvre d’art. En effet, l’œuvre est présentée comme surgie d’on ne sait où, telle un aérolithe. Et ce parti pris de cacher l’atelier a eu pour effet d’aiguiser la curiosité du public pour cet univers secret de la création et de provoquer la certaine frustration de n’y être convié.
Histoire d’artistes rompt avec cette tradition du secret en poussant la porte de l’atelier de Johan Muyle. Celui du sculpteur belge est d’ailleurs farouchement défendu par son chiwawa dont les aboiements montrent qu’il n’est pas habitué de voir des intrus dans le laboratoire de son maître. Un atelier rempli d’objets, une véritable caverne d’Ali Baba. Des milliers de poupées et de figurines de famille et des bibelots ramenés des voyage à travers le monde entier : poupées russes, bonhommes indiens, pantins, boîtes à musiques et tutu quanti. C’est, explique Muyle, de la rencontre improbable de ces objets que naît le déclic, l’intuition d’une sculpture. Effectivement des assemblages de Muyle surgit une certaine poésie comme l’est « la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ! » qu’évoquait Lautréamont. Mais les sculptures de Muyle vont au-delà de la recherche du Beau, elles questionnent aussi notre humanité.


Ainsi la série de squelettes qui, dans des poses variées, évoquent les carnavals de la mort des Fleurs du Mal est une métaphore de notre finitude. Leurs costumes roses sont un clin d’œil aux tenues de détention des génocidaires Hutu, le crâne de l’un pris dans un sac plastique est inspiré de la technique d’étouffement utilisée les Khmers rouges pour économiser les balles. On reconnaît sur une sculpture la cagoule et la pipe du Commandant Marcos. Ailleurs, un écriteau sur un costume parle de la surveillance dont nous sommes l’objet dans une société qui ressemble de plus en plus à celle de Big Brother dans 1984 de George Orwell. En somme l’art de Johan Muyle porte l’empreinte des utopies et des atrocités de notre époque. Toutefois, il est plus un questionnement qu’une prise de position militante. Entre l’engagement artistique de Bataille et celui de Sartre, il choisit une position médiane.
Le film de Virginie Cordier, en plus de nous entrainer dans les cuisines de l’œuvre de Muyle, dessine en creux le portrait d’un homme de 56 ans. Le visage émacié en lame de couteau et les grandes oreilles font penser au personnage de Spock de la série américaine Star Trek. Le recours systématique à l’autoportrait, que ce soit sur ces sculptures ou sur les affiches géantes inspirées des affiches de Bollywood, questionne l’identité et la valeur de la pipolisation.
Par ailleurs, Johan Muyle brise les petites mythologies de l’artiste emmuré dans sa tour de Babel, sa solitude constituant le ferment de sa créativité. On le suit entouré de sa jeune équipe d’assistants composés de deux Geeks qui maîtrisent la robotique et l’informatique. C’est avec eux que s’élaborent les projets d’œuvres ; eux amènent leur fraîcheur, leur enthousiasme juvénile et leurs compétences pour donner forme aux idées et intuitions du maître. On le voit aussi, entouré d’amis et de proches. Un homme à l’aise dans sa communauté comme un poisson dans l’eau. En somme, « Humain, trop humain », dirait Nietzsche.
Histoire d’artistes est une collection pédagogique. En poussant la porte de l’atelier pour y introduire le spectateur, ce film lui donne les clefs de compréhension de l’artiste et de son œuvre tout en l’ouvrant à la compréhension du monde très complexe de l’art. Saidou Alceny Barry

samedi 19 mai 2012

Séguéda Léopold : Un peintre naïf à Dak’art

Séguéda Leopold est le seul artiste plasticien burkinabè présent à la biennale de l’art contemporain african, Dak’art. Il est aussi le seul artiste naïf parmi une centaine d’artistes. L’œuvre sélectionnée Ambiance nocturne intrigue au milieu des autres œuvres par sa singularité et sa forte d’expressivité.

Ce peintre naïf à Dakar n’a rien à voir avec une naïveté de caractère. Naïf est l’étiquette que l’on colle à sa peinture mais Léopold Séguéda pose un regard perspicace et amusé sur le monde. Son œuvre témoigne d’un rendu quasi-radiologique des pulsations de la capitale burkinabè. Né en 1979 à Ouagadougou, il passe son enfance à Zabré, une ville proche de la frontière du Ghana. Bien que doué pour le dessin dès l’enfance, il ne rencontrera la peinture qu’à son retour à Ouagadougou à l’adolescence. Là, il s’initie à la peinture dans l’atelier de Zaré Fayssal, un élève de Bab’s qui est considéré comme le père du mouvement naïf au Burkina Faso.

C’est une peinture qui ne se préoccupe pas des règles d’école. Au contact des peintres formés dans les écoles d’art, Séguéda l’autodidacte a essayé d’intégrer la perspective et la proportion dans sa technique. Très tôt, il comprend que sa démarche perdra de sa spontanéité et de sa créativité en s’encombrant d’académisme. Et bien lui en a pris car sa peinture est, contrairement à beaucoup de ses confrères, authentique et originale. Sa présence à la Biennale de Dakar est la confirmation de son originalité. Le tableau Ambiance nocturne est le fruit de longues nuits blanches passées dans les bars et gargotes de la capitale pour capter les frémissements de la nuit. Ce travail dénonce l’ambiguïté des Ouagalais qui se plaignent de la cherté de la vie et, qui la nuit tombée, dépensent des fortunes dans les plaisirs de la chair et de la bonne chère. Mais cette dénonciation ne se départit jamais de l’ironie, d’où la caricature des personnages. Ségueda ajoute une touche personnelle en utilisant des collages et des graffitis avec de courts textes pleines de fautes d’orthographe, des perles qui font sourire comme Maqui sans S dans Ambiance nocturne.

Séguéda est peu connu dans son pays. Pourtant les connaisseurs de l’art le tiennent en haute estime. Le grand sculpteur de renommée internationale, Ki Siriki fait partie de ceux qui croient en lui et qui l’encourage à travailler dans cette direction. Et Séguéda est bien décidé à s’imposer sur la scène internationale. Assis au bar de l’hôtel Le Lagon, il a le regard qui suit le sillage des pirogues glissant sur la mer. Il pense déjà à l’après Dak’art, à sa participation prochaine à deux expositions en France et à Londres. De son passage à Dakar, il repartira, imprégné du quotidien des Dakarois et son œuvre en portera certainement la trace. Car en parfait entomologiste, il épinglera ses bizarres insectes sur ces toiles futures !

Saïdou Alcény BARRY (BURKINA FASO)

jeudi 22 mars 2012

Romanciers et mythomanes. Frères dans la fabulation

Le roman, c’est le Mentir-vrai disait Louis Aragon pour signifier que l'écriture romanesque, est un dévoilement du réel par la fabulation. Est-ce pour cela que certains romanciers au lieu de créer des personnages de fiction deviennent eux-mêmes des personnages dont la vie est largement romancée ? Parmi ces écrivains mythomanes, il y eut Blaise Cendrars et André Malraux. Pour Ernest Dupré, fondateur du concept de mythomanie, cette pathologie est une tendance constitutionnelle à l'altération de la vérité, à la fabulation, au mensonge et à la création de fables imaginaires. Et ces deux écrivains ont compris que les plus belles vies sont celles que l’on invente. Blaise Cendrars, roi des fabulateurs…
Blaise Cendrars (1887-1961), véritable aventurier qui quitta sa famille à quinze ans pour courir le vaste monde, Moscou, Londres, Rome, New York, Mexico, Venezuela exerça tous les métiers, d’apiculteur, d’apprenti- joaillier, d’éditeur, de journaliste, de cinéaste et d’aventurier. Une vie riche qui a fourni la matière à son œuvre romanesque et poétique. Mais à travers ses œuvres, que d’arrangements avec la vérité, que de mensonges présentés comme des faits avérés de sorte qu’il est impossible de séparer le vrai de l’ivraie dans cette vie fabulée, le flagrant délit de mensonge est un flagrant délire mythomane. Ne raconte-t-il pas qu’il se trouvait dans un hôtel de Pékin pendant le terrible hiver 1904 et qu’il échappa à la mort par hypothermie en brûlant des milliers de livres édités par le Mercure de France ? Pourtant, à cette époque il se trouvait à Saint-Pétersbourg. En outre, il affirmera avoir, sous une inspiration mystique, rédigé le fameux poème Les Pâques à New-York (1912) qui inaugura le vers libre et le très long poème dans les lettres françaises, en une nuit. La vérité est que le poème a été travaillé pendant des mois à son retour à Paris. Mais le plus gros mensonge du poète manchot (il a perdu la main droite pendant la Grande guerre), ce qu’il appellera « ma plus belle nuit d’écriture » : il dira sans ciller avoir écrit des milliers de pages de Moravagine en une nuit !
Par ailleurs, de son reportage en Amérique intitulé « Hollywood, la Mecque du cinéma » (1936) où il raconte ses rencontres avec les grands hommes du cinéma américain, on sait qu’il n’a rencontré ni Charlie Chaplin (avec lequel il disait avait travaillé dans un cirque à Londres), ni Charles Boyer encore moins Ernest Lubitsh. Ce fut un bidonnage de plus.
Il disait avoir écrit un livre à Moscou La légende de Novgorode traduit en russe mais nul n’a jamais vu un seul exemplaire. Pareil pour ses prétendus manuscrits enfermés dans des coffres forts de banques en Amérique latine et dont il aurait oublié les codes. On range tout cela dans les fabulations de l’homme Cendrars.
D’ailleurs, quand on démontait les mensonges devant lui, Cendrars ne se démontait jamais. Ainsi quand on lui dit qu’il avait écrit « Le Poème du Transsibérien » sans avoir traversé la steppe de Sibérie comme il le prétend, il répondait : « Peu importe que je n'aie jamais pris les trains dont je vous parle, l'important est que je vous les ai faits prendre ». Mais face à Cendrars, il y a Malraux qui fut autant ou plus mythomane que lui.

André Malraux, le génial faussaire (1901-1976)

Né d’un père qui s’est carapaté très tôt et d’une mère épicière, Malraux passera sa vie à se rêver autre et à s’inventer une vie cousue de mensonges. Il se dira le fils d’une richissime qui réside à de manière permanente à l'hôtel Claridge, sur les Champs-Elysées. Sans le Bac, mais nanti d’une mémoire prodigieuse ayant la capacité d’un ordinateur, il enregistre tout ce qu’il lit et séduit par sa grande culture et fabrique une identité. Devenu bouquiniste à Paris, il s’improvise spécialiste de livres anciens, séduit la riche Clara Goldschmidt, sa première femme dont il dilapide la fortune dans des investissements farfelus, part en Cambodge pour voler de statuettes khmères au Cambodge, devient directeur de journal anticolonialiste en Indochine et écrivain-vedette avant d’avoir commis un livre. Et réussit à s’illustrer comme un Résistant, à rencontrer De Gaulle, et devenir ministre de la Culture et rata d’un cheveu le Nobel de Littérature. Tout ça, à coup de bluffs, de mensonges et de falsification de l’histoire.
Olivier Todd qui a écrit une biographie sur Malraux affirme avoir eu le dossier militaire du romancier entre les mains et conclut : " Il l'a rédigé lui-même : il s'est attribué des blessures qu'il n'a jamais eues, et il prétend avoir fait de la Résistance dès 1940". En fait, il est venu à la Résistance tardivement, en mars 1944. Et même son prétendu rôle de Commandant de la Brigade Alsace-Lorraine n’est que de façade. Malraux n'avait aucune compétence militaire et avait été réformé de façon définitive en 1922. Il était par conséquent dans l'incapacité de commander et le véritable commandant de cette brigade était le lieutenant-colonel Pierre Jacquot selon les historiens.
Même son engagement dans la guerre espagnole est un simulacre pour se forger une étoffe de héros. En effet l'action de l’escadrille España commandée par Malraux été très surévaluée. La guerre d’Espagne dura quatre ans et l’escadrille de Malraux n’a duré que sept mois. L'appréciation du général en chef de l’aviation républicaine, donc le responsable supérieur de la « glorieuse » escadrille de Malraux, Ignacio Hidalgo de Cisneros, remet les choses au point : « Loin d’être une aide, ils furent une charge... sa contribution en tant que chef d’escadrille s’avéra tout à fait négative »
D’ ailleurs, sa rencontre avec Staline fut un canular comme l’a été celle de Châteaubriand avec George Washington. Et avec La condition humaine, son roman le plus célèbre qui rend compte de la Révolution chinoise, Malraux prétendait avoir vécu le déclenchement de celle-ci de l’intérieur. Pourtant sa compagne de l’époque, Clara Malraux dira qu’ils n’ont passé que quatre jours dans l’empire du milieu et loin des bruits et des fureurs de la société chinoise.
Enfin, Comme Cendrars, Malraux aussi a des histoires rocambolesques de manuscrits soi-disant perdus ou saisis par la Gestapo.
«Etre homme c'est réduire au maximum sa part de comédie », disait Malraux. Ceci de la part d’un homme qui était perpétuellement en représentation et dont toute la vie fut une immense comédie relève d’un certain toupet !
Si ces deux romanciers sont ceux dont la mythomanie est manifeste, à scruter de près la plupart des textes qui se veulent des témoignages, on découvre que nombre d’hommes ont tendance à embellir leur vie, à grandir leur rôle dans l’histoire et à gommer tout ce qui est à leur désavantage. Aussi la plupart des mémoires d’hommes politiques sont-ils des fabulations de mythomanes. Faut-il conclure que la plupart des hommes, dès qu’ils ont le pouvoir d’écrire leur vie, tombent dans la mythification et la mystification ?
Saidou Alceny Barry

vendredi 16 mars 2012

Tiens bon, Bonkano ! un mendigot nous fait la leçon

Seul sur scène, Boukary Tarnagda joue Tiens bon, Bonkano ! d’Alferd Dogbé dans une mise en scène depouillée de Tindano Mahamoudou. Le mendiant Bonkano déroule sa vie, évoque ses rencontres, les portraiture jusqu’à la caricature et dessine en creux le portrait peu reluisant du continent. C’était le 2 mars 2012 à l’Espace culturel Gambidi. Spectacle d’un grand comique, rafraîchissant et corrosif.

Tiens bon, Bonkano ! met en scène un mendiant qui tend la sébile dans les rues de Niamey mais ce pourrait être n’importe quelle ville africaine. Lui, sa famille et tout son village ont été contraints par la famine à émigrer en ville, attirés par les discours pleins de compassion et de promesses d’aide des hommes politiques. L’entrée dans la capitale leur est refusée. La soldatesque les accueille sans ménagement et les parque tel un bétail dans un camp de réfugiés. Rapidement les vivres sont épuisés à cause des détournements. Ayant perdu femme, enfants et biens, il est réduit à faire la manche pour vivre.
Malgré son déhanchement de vieux coq, sa veste élimée et son sac fourre-tout, Bonkano reste un homme qui exige le respect et qui n’hésite pas à le faire savoir. C’est devant le portail d’une dame esseulée que Bonkano, bouquet de fleurs en main, entre deux sonneries, évoque sa vie de mendiants. C’est en attendant l’amour que notre Casanova en guenilles, livre ses pensées sur la vie. Ulcéré qu’un quidam lui dise d’aller travailler, il boue littéralement. Et telle une coquette-minute qui laisse de chaudes vapeurs s’en échapper pour ne pas imploser, Bonkano, entre deux étranglements de colère, est un geyser de paroles. Des tranches de vie qui restituent au-delà du mendiant la photographie d’une Afrique peu reluisante et écorne au passage la lisse image de l’humanitaire et de la solidarité internationale.
Et défile une galerie de personnages loufoques que Tarnagda Boukary habite avec beaucoup de réussite. On en rit aux larmes. Bonkano a dressé sa typologie du citadin face à la charité : le sans-cœur qui ne tend jamais la main, l’impertinent qui demande au mendiant d’aller travailler, la dame solitaire qui offre le repas et attend un peu de chaleur en retour et enfin celle qui se débarrasse des aliments détériorés par l’aumône, confondant la sébile et la poubelle. Et un mendiant peut en cacher un autre ! De l’élégante dame au monsieur en veste, cravate et mallette qui abordent les hommes pour les délester de quelques billets jusqu’aux ministres qui, à la télé, exhibent la misère de leur pays pour attendrir les donateurs et l’aide internationale : tous sont des mendigots comme Bonkano à la différence près que lui, il assume sans hypocrisie son état !
A travers cette pièce d’Alfred Dogbé, sous la couche du comique, il y a une critique sans merci du continent et de l’assistanat dans lequel se vautrent les Etats. Bonkano n’est pas dupe mais il se moque de tout et se paie la tête de tous. Par-là, il est un Diogène contemporain. Comme le philosophe grec qui vécut misérable dans un tonneau, Bonkano à force de vivre dans une solitude publique a acquis une telle connaissance de ses semblables qu’il s’exerce à les dévêtir de leurs masques et à nous les
montrer dans leur nudité. Et ce qu’il révèle de l’homme est bas et mesquin !
Pendant plus d’une heure, Boukary Tarnagda nous transporte avec beaucoup de bonheur dans le quotidien de Bonkano. Ce spectacle, servi par une mise en scène minimaliste, un éclairage aussi dépouillé que la vie du personnage, est comme de la glu. Plus il se poursuit et plus le spectateur est scotché si bien qu’à la fin, il a du mal à se détacher du personnage. On rit beaucoup mais à la fin, quand meurt le rire, on éprouve un brin de remords. Boncano est un clown et l’on rit toujours aux dépens du clown. Mais c’est un clown triste car sous le masque de la comédie, il y a le malheur d’un homme réduit à tendre la main dans le mépris des hommes et l’indifférence de l’Etat.
P.s: Pendant que l'on jouait Tiens Bon, Bonkano! à Ouagadougou ce soir 2 mars, on pleurait la mort d'Alfred Dogbé à Lomé au Togo. Signe qu'un créateur se survit toujours à travers son oeuvre.

Saïdou Alcény Barry

samedi 18 février 2012

Joseph Traoré, un grand comédien

L’association des critiques de cinéma du Burkina a rendu hommage au comédien Burkinabè Joseph Traoré, Jo pour les intimes. Des films dans lesquels il a tourné ont été mis à l’honneur. Ce qui a permis de dessiner en creux, le portrait d’un comédien de talent, un homme qui a le cœur sur la main.

C’est un homme diminué physiquement mais au moral intact qui est venu recevoir l’hommage des critiques de cinéma du Burkina. Il déplace lentement sa silhouette massive avec une béquille à l’aisselle, parce qu’il a une prothèse au pied et une pile cardiaque dans la poitrine. Malgré cet état, il est toujours de bonne humeur. La voix est chaleureuse, le visage replet et apaisé d’un Bouddha tropical, un sourire qui se transforme vite en rire et tourne un aréopage de visages sérieux en une bande de joyeux drilles. Il faut dire qu’il a la blague facile et l’art de saupoudrer ces anecdotes d’une pincée d’humour. Il est intarissable avec sa provision d’anecdotes glanées sur les plateaux de tournages ou au contact des hommes de cinéma. Ainsi du duel homérique entre Jo, le jeune buteur et Sotigui Kouyaté, le défenseur inamovible de l’équipe adverse, affrontement qui finit par un ballon adroitement glissé entre les jambes d’échassier du géant Sotigui Kouyaté et un but. Ce clash est comme un remake sur un terrain de foot de l’affrontement entre le menu Bruce Lee contre le gigantesque Maleek Abdul Jabbar dans le Jeu de la Mort. Plusieurs décennies plus tard, Sotigui rappelait toujours l’évènement quand il croisait celui qui défit sa réputation de muraille imprenable. Plus tard, ils se sont retrouvés dans le film Jours de tourmente( 1985) de Paul Zoumbara où Jo jouait le rival de Sotigui. Un rôle de méchant qui le rendit antipathique à beaucoup de cinéphiles tant son jeu fut convaincant.

Dans Humanitaire (2007), le court métrage d’Adama Rouamba sur l’univers des ONG des Nations-Unies en temps de conflit dans un pays africain, il révèle son grand talent par un jeu tout en économie et d’une intensité dramatique insoupçonnée. Il y joue le rôle d’un sourd muet ayant survécu au massacre de sa famille. Recueilli dans un camp de réfugiés de guerre, il attend avec espoir que le camionneur du HCR lui ramène quelques membres de sa famille ayant échappé au massacre. Entre les allers-retours du camion, la béquille à l’aisselle et debout sur la prothèse de tige métallique, son visage est tour à tour visité par l’inquiétude, l’espoir mais finit tordu par une immense douleur lorsque l’auto explose sur une mine. Un sourire qui se fige au moment de la détonation, devient une affreuse grimace et le visage qui devient un masque de douleur : les yeux deviennent torrents de larmes. Voir le vieil homme pleurer à chaudes larmes silencieuses est un moment de grande émotion.
Il y a deux sortes d’acteurs : les bons rôles et les grandes âmes. Le bon rôle est un acteur qui a la gueule de l’emploi et ne peut sortir d’un certain type de personnage. Jo Traoré appartient au second groupe de comédiens ; ceux dont la vie est si riche d’expériences et de rencontres qu’ils abritent en eux une foultitude de caractères. Ainsi d’une frondaison luxuriante héberge quantité d’oiseaux et une infinie variété de chants. Ouvert à l’aventure et aux autres, ce type de comédien se nourrit de l’existence des autres comme une éponge se gorge des fluides et des parfums qui l’environnent. Et son jeu se déploie sur un large éventail de possibilités.

Il ne fait pas de doute que cet homme de 74 ans aime le cinéma. Il lui a d’ailleurs consacré les plus belles années de sa vie. Il a été projectionniste en Côte d’Ivoire, chauffeur à la cinématographie nationale à son retour au pays jusqu’à sa rencontre avec Serge Ricci, un français faisant de la réalisation pour le cinéma ambulant, avec lequel il débute comme acteur. Lorsqu’il ne fait pas l’acteur, il est régisseur sur les plateaux de tournage. Il avoue une cinquantaine de films au compteur comme régisseur et acteur.

Aspire-t-il à une retraite bien méritée ? Pas du tout. Il a le jeu chevillé au corps et est toujours en attente de rôles et de scénarios. Mais pour ceux qui évalue l’accomplissement d’une vie d’homme au prorata de l’épaisseur du compte bancaire et des choses matérielles accumulées, il y a dans cette fin de parcours quelque chose d’injuste car on a le sentiment que l’investissement de Jo dans l’art a été payé en monnaie de singe. Malade, diminué, on aurait souhaité qu’une telle carrière le mît à l’abri du besoin. Malheureusement ce n’est pas le cas ! Et une vie entièrement consacrée au cinéma devrait comme un bon film avoir un happy end ! Pourtant Jo n’est point amer, il est fier et reconnaissant de ce que le cinéma lui a donné comme joie et comme rencontres. C’est pourquoi il nous faut l’imaginer heureux !
Saïdou Alcény BARRY

lundi 30 janvier 2012

Des papys chanteurs font la résistance !

L’Institut Français de Ouagadougou a eu la lumineuse idée de sonder les origines de la musique moderne burkinabè. De cette plongée dans la période 60 à 80, il est né un livre, une expo photo et un concert des anciennes gloires de notre musique. Les années n’ont entamé ni le talent ni la fougue des papys.
Une expo de photos avant et maintenant
Dans l’espace de la Rotonde, se tient jusqu’au 8 février 2012, une expo photos vintage sur les pionniers de la musique Burkinabé. Une véritable balade dans le passé. On s’y promène avec le sentiment d’avoir découvert la cantine de grand-père (non pas remplie de devises ! mais contenant de vieux disques de vinyle sentant la naphtaline). Des pochettes de 45 et de 33 tours des années 60/70 qui ont été agrandies et accrochées en cercle. Un trésor ! On y voit Georges Ouédraogo, dans sa tenue anthracite de scène avec un soleil et ses rayons argentés sur le torse, les bras tendus comme un Christ en lévitation. Et Youssouf Compaoré en jeune hippie psychédélique, Abdoulaye Cissé en blouson cuir et guitare en main avec quelque chose de Johnny Halliday. Et Samboué Jean Bernard, et Tidiane Coulibaly, tous à peine sortie de l’adolescence.
Au mur, il y a des photos de buste de ces artistes prises cette année. Plusieurs décennies après ! Des photos qui révèlent que les années sont passées sur certains tel un mauvais vent, arrachant les cheveux par poignées, blanchissant les crêtes et les mentons, ravinant les visages de milliers de sillons…Mais plus que l’âge, ce doit être le fait d’avoir vécu en sybarites et brûlé la vie par le deux bouts, en somme d’avoir été plus cigale que fourmi qui leur donne cet air avec une buée de tristesse dans l’œil. Seul Cissé Abdoulaye a réussi a passé entre les années sans prendre une ride. Avec son éternelle jeunesse, il fait penser au Dorian Gray d’Oscar Wilde. Après avoir fait le tour des photos qui montrent la fatigue physique des pionniers, on se demande bien ce qui reste des sublimes voix qui ont enchanté les deux premières décennies de l’indépendance. Et on reste perplexe quant à leur capacité à pousser la chansonnette vu que l’empilement des années érode les cordes vocales et leur font perdre de leur souplesse ; et de plus, le souffle s’est certainement raréfié. Pourtant, on sait que le chant est affaire de pneumatique ! Dans ces conditions, si on piaffe d’impatience à retrouver les papys sous les spotlights, on appréhende ce come-back avec en tête le scénario de retour des vieux champions du ring : quelques swings dans l’air pour faire illusion, un jet d’éponge et c’en est fini du rêve de renaissance. Tentative pathétique d’une ombre pour accrocher la lumière!
Quid du concert ?
C’était un concert fort attendu. Qui s’est joué à guichets fermés. Avec un public de plusieurs générationsl. Les vieux nostalgiques du Volta Jazz et de l’Harmonie voltaïque, ceux qui avaient vingt ans à l’époque des indépendances voisinaient avec des hommes ayant l’âge de leur fils et des tout jeunes. Tous conscients d’assister à un évènement historique, heureux comme qui se prépare à voir dans le ciel la queue flamboyante de la comète Halley. Ce qui arrive une fois tous les soixante-treize ans, c’est-à-dire une fois dans une vie.
Accompagné par les Elites du faso et les cuivres d’Alpha Vindou, neuf gloires nationales vont se succéder sur scène. Tous ont conservé la voix intacte. Tour à tour Bamogo Jean Claude, Issouf Compaoré, Georges Ouédraogo et les autres ont enflammé le public qui n’hésite pas à reprendre les tubes qui ont baigné leur enfance. On retiendra le timbre si particulier de Moustafa Maïga : un filet de voix qui se déploie comme un fil d’araignée sur les cuivres, et de cette extrême fragilité, il s’en dégage une sensation qui vous remue durablement.
Si certains avaient la démarche un peu lourde ou traînante, tels Georges Ouédrago affecté d’une légère claudication et To Finley s’appuyant sur une béquille, les corps retrouvaient parfois des gestes oubliés ou profondément enfouis. Ainsi de Bamago Jean-Claude qui, touché par le souffle de la liesse, a déroulé un déhanché digne d’un James Brown. Ou Tô Finley se mettant à jerker au final, oubliant qu’il a exécuté son tour de chant, cloué sur une chaise à cause d’une jambe malade ! Ailleurs, pour cette subite guérison, on aurait crié alléluia ! Youssouf Compaoré aussi a stupéfait par son aisance à bouger son corps de plus d’un quintal. A le voir se mouvoir avec la légèreté d’une plume, on pense aux vers de Baudelaire : Sa tête d’enfant se balançant avec la mollesse d’un jeune éléphant. Le public lui a éprouvé le vertige du Bâteau ivre car plus léger qu’un bouchon [il] a dansé sur les flots du souvenir avec ces papys qui savent l’art d’évoquer les minutes heureuses de notre passé musical
Les voix de passé iront à Bobo ressusciter l’époque glorieuse du Volta Jazz et des orchestres. Les airs des premiers tubes danseront dans le ciel nocturne de Sya. Et beaucoup remarqueront que de grandes voix de l’Ouest manquent à l’appel : celles du cheminot Tidiane Coulibaly et de Samboué Jean Bernard. Mais ils les retrouveront sur le CD associé au livre de Florent Mazzolin, « Burkina Faso : Musiques modernes voltaïques ». S’il faut saluer cette entreprise de l’Institut Français de Ouagadougou qui sauve ainsi de l’oubli un pan important de notre histoire musicale, il faut néanmoins regretter qu’un demi-siècle après notre indépendance, ce soit la coopération française qui se retrouve seule sur le terrain de la préservation de notre patrimoine musicale.
Alceny Saïdou Alceny