Tout mur est une porte. Emerson

vendredi 2 décembre 2011

Piéton à Ouaga : le calvaire

Dans la capitale Burkinabé, il ne fait pas bon d’être un piéton. L’aménagement urbain ne tient pas compte de lui, les usagers de la route en font un ennemi public, un homme à abattre. Il est par conséquent dangereux d’en être. Ici le piéton est une espèce menacée.

L’aménagement urbain exclut le piéton

C’est un calvaire pour le piéton de faire un kilomètre dans la ville de Ouaga. D’abord l’aménagement urbain n’a prévu aucun espace pour lui. Quand de rares fois, il lui est réservé un espace comme la zone piétonne autour de Rood- woko, les voitures et les cyclistes contestent la règle et obligent l’autorité à y déroger. La plupart des rues sont sans trottoir, l’obligeant à partager la bande cyclable avec les deux-roues. Et cela à ses risques et périls car le cycliste Ouagalais lui voue une haine nauséeuse. Dès qu’il pose la semelle sur le bitume un concert klaxons furieux le glace d’horreur. Même s’il traverse une rue en empruntant les rares passages cloutés qui lui sont réservés, il doit être vigilant comme un CDR, pour ne pas se faire écraser! A Ouagadougou, aucun cycliste ou chauffeur ne ralentira pour le laisser traverser. Pour éviter d’être écrasé, il devra prendre ses jambes au cou, slalomer entre les roues, la bordée d’injures et les klaxons pour atteindre l’autre côté de la rue. Comme s’il ne traversait pas une rue mais une mare aux alligators !

L’aristocratie de la monture

Confronté au mépris des autres usagers de la circulation, le piéton prend rapidement conscience de la hiérarchie de classe qui tient de la qualité de la monture. Au sommet de l’échelle sociale trône le conducteur de gros camions. Il est très craint mais point aimé. Suivent par paliers, les conducteurs des 4x4, ceux qui roulent de petites voitures et des grosses cylindrées. Au dernier barreau de l’échelle, se trouvent les cyclistes. Ils sont méprisés par les citadins qui les considèrent comme des paysans ne connaissant rien au trafic urbain. Enfin, au plus bas de l’échelle, au même rang que les ânes, les moutons et les chiens perdus, on trouve le piéton. Beaucoup de Ouagalais pensent que cet étrange bipède mériterait de rejoindre les animaux en divagation à la fourrière. Sans rire !

Un piéton est de facto un prolo

Il est des citadins incapables d’admettre que l’on puisse trouver du plaisir à battre le pavé. Marcher est perçu comme une dégénérescence sociale. C’est pourquoi, dès qu’un homme marche sur le bas-côté de la voie, ceux qui le reconnaissent se rangent à sa hauteur pour s’enquérir du problème qui l’a réduit à cet état. Panne ? Qu’il réponde que marcher est un plaisir et on doutera de sa santé mentale. Amadou l’a appris à ses dépens. Son médecin lui ayant conseillé de faire de la marche pour perdre du poids et fortifier son cœur, il s’y était mis. Mais, à chaque pas, il était arrêté par une bonne âme qui se proposait de lui porter secours. D’autres, plus perfides, appelaient sa femme au téléphone pour lui demander ce qui était arrivé à son époux. Pour mettre fin à ces harcèlements, il s’est résolu à s’inscrire dans une salle de gym et à marcher tranquillement sur un tapis roulant.

Le tacot ou la mort !

Marcher ici est vraiment un enfer. Ouaga est un pandémonium pour le piéton. C’est pourquoi tout ouagalais qui arrive à rassembler trois fois cent mille francs s’achète un tacot fumant comme un volcan, toussotant comme un tuberculeux et brinquebalant. Assis au volant de son cercueil roulant, se rappelant son calvaire d’antan, le chauffard se venge des piétons en jouant du klaxon et en les traitant de tous les noms d’oiseaux dont on l’affublait. On raconte dans les gargotes qu’un riche transporteur, ayant un grand parc d’autos allait rendre visite à un voisin de quartier et se fait éclaboussé par une vieille guimbarde. Il hurle après le chauffeur qui fait marche arrière et s’arrête à son niveau. L’homme s’attend à ce que le zigoto lui présente des excuses. Et le chauffeur, calmement lui dit qu’il a vraiment raison de s’énerver. « Moi-même, j’ai été victime d’éclaboussures sur mes vêtements. Comme toi, je me suis énervé, et c’est pourquoi j’ai acheté un véhicule pour éviter ces désagréments. Fais comme moi, achète-toi un véhicule » assène-t-il avant de disparaître dans la circulation, son tacot se dandinant comme une cane éclopée. Renversant, non ?

Et le piéton cataclysme ?

S’il est vrai que le piéton est malmené, il y en a qui sont vraiment indéfendables et même Vergès ne s’y risquerait pas. Parfois, on voit de jeunes filles se traînasser comme des limaces sur la voie tels des mannequins de Dior sur un T, sans parler de certains quartiers de Ouaga où des piétons s’arrêtent au milieu de la rue pour papoter, se prenant pour des ronds-points que voitures et motos doivent contourner ! Et le plus dangereux d’entre tous, c’est le piéton indécis : pour traverser la rue, il zieute à gauche et à droite, prend son élan, et hop ! le voilà qui se lance ainsi qu’une fusée et subitement il freine des quatre fers, revient sur ses pas, pousse un ouf de miraculé, et refait un pas en avant, et encore deux en arrière. Sa valse hésitante entraine tout le monde dans un sacré cafouillage dans la ligne des voitures, et s’ensuit un carambolage, un véhicule emboutit un autre et ainsi de suite…Et debout sur ses jambes flageolantes, tremblant comme une feuille, le piéton indécis contemple son œuvre : un désastre de tôles froissées, de vitres brisées, d’hommes en fureur. A lui seul, il est une catastrophe et les chauffeurs courroucés aimeraient bien l’avoir sous leurs roues pour en faire du pâté pour chiens errants de Ouaga. Mais une hirondelle ne faisant pas le printemps, on ne va pas condamner tous les piétons simplement parce qu’il s’en trouve qui sont aussi ou moins intelligents que leurs…pieds.

Saidou Alceny Barry