Tout mur est une porte. Emerson

vendredi 22 juillet 2011

Le tunnel d’Ernesto Sabato : Le livre capital

Ernesto Sabato, écrivain argentin, s’est éteint en cette année 2011 à l’âge de 99 ans. Auteur d’une trilogie romanesque qui tresse l’intime et la métaphysique, ses œuvres sont une méditation existentialiste sur l’homme en prise avec les forces du dedans et celles du monde. De Sabato, il faut cependant retenir le Tunnel paru en 1948. C’est une œuvre incontournable. Un des livres le plus profonds sur la mécanique de la jalousie et ses ravages.
Il est des livres dont la lecture marque à vie. Est de ceux-ci le Tunnel de Sabato. Non parce que Alain Mabanckou le cite comme son roman préféré, ce qui est fort contestable car la prose du Congolais est si fade, son univers si mièvre que l’on peut douter qu’il fut jamais en contact avec ce chef-d’œuvre. L’eût-il été que sa plume en aurait été contaminée et sa prose rendue meilleure !
Le Tunnel a pour narrateur le peintre Juan Pablo Castel. De sa prison, le peintre tourmenté, relate sa rencontre avec une jeune femme, Maria, pendant un vernissage. Maria s’intéresse à une toile du peintre qui n’a accroché ni l’œil du public ni l’intérêt des critiques. Après elle disparait ! Le Peintre n’a de cesse à penser à cette mystérieuse femme qui a disparu. Il est convaincu qu’elle est le seul être à l’avoir compris. Il l’a retrouvera et il en naîtra une belle histoire d’amour. Mais découvrant que Maria est mariée, ce qu’elle ne lui avait pas dit, il va la soupçonner de lui mentir sur l’amour qu’elle lui porte, de le tromper avec d’autres hommes. Le drame de Pablo Castel n’est pas de manquer d’intelligence mais d’en avoir trop, de croire que tout peut être expliqué, analysé. Par la déduction, le peintre misogyne et misanthrope remonte à la cause de chaque acte. Il s’installe dans le doute méthodique permanent, fait l’inventaire des faits, gestes et mots de Maria pour y chercher l’indice de l’infidélité, la preuve qu’elle est une femme de petite vertu. C’est à une véritable phénoménologie des gestes que Juan Pablo Castel se livre. Convaincu que Maria est une catin, le peintre la tuera de plusieurs coups de couteau.
Ce résumé ne rend pas justice au roman de Sabato. Celui-ci est si riche en nuances, en petits détails qu’il est impossible d’en faire un bon résumé. On ne peut rendre compte des saveurs de toutes les couches d’un millefeuille, on mord simplement dans le gâteau pour s’en délecter. Aussi le lecteur doit-il aller au Tunnel au lieu de se contenter d’un résumé. C’est un roman mince, loin des chefs-d’œuvre ventrus et obèses tels Le Tambour de Günter Grass, la Montagne magique de thomas Mann et Belle du Seigneur d’Albert Cohen qui sont des Everest, tant leur lecture s’apparente à l’escalade du plus haut toit du monde. Les 137 pages du Tunnel se parcourent en une demi-journée. Mais il vous en demeurera un souvenir impérissable parce que Sabato est un styliste hors-pair qui déroule une écriture d’une grande économie, sans fioriture, sèche mais d’une force terrible. « La profondeur se trouve à la surface des choses » disait Nabokov. En effet sous ses dehors neutres, l’écriture de Sabato est une machine à distiller l’émotion à dose homéopathique. Mais le cumul de petites doses au fil des pages vous plonge dans une vague d’émotions, entre blues et tension. D’ailleurs, l’apostrophe permanente du lecteur par le narrateur fait penser au romancier de Lolita. Le Tunnel, c’est quatre écrivains en un. C’est l’écriture tout en économie d’Albert Camus, la finesse de l’analyse psychologique de Fedor Dostoïevski, le récit en creux qui dialogue avec le lecteur de Vladimir Nabokov et la prose métaphysique de Luis Borges, l’aveugle argentin à la prose lumineuse !
Si vous deviez lire un seul livre pendant ces vacances, alors que ce soit celui-là ! Engagez-vous dans la bouche obscure du Tunnel, vous descendrez dans les noires profondeurs de l’âme humaine, dans le labyrinthe de la jalousie mais n’ayez crainte de l’ombre. L’écriture de Sabato secrète des mots qui tels des lucioles fluorescentes éclairent son Tunnel et en font une caverne ajourée que le lecteur parcourra sans effort. Mais il en sortira, transformé car Tel qu’en lui-même, l’art de Sabato le change, lui révélant l’incommunicabilité des êtres : tout homme est dans un tunnel de verre, ni l’art, ni l’amour ne sont ne rompent la solitude humaine. C’est l’enseignement du Tunnel !

Saïdou Alceny Barry

mercredi 20 juillet 2011

Le métier de critique ou la profession de mauvaise foi

Comment peut-on faire profession de critique ? Éreinter ou louer un film ou une pièce de théâtre sans être cinéaste ni homme de théâtre et n’en éprouver aucune gêne. Ne faut-il pas une bonne dose de culot et beaucoup de mauvaise foi?

Il nous est incompréhensible qu’un journaliste, honnête et bien dans sa tête, se fasse payer pour écrire des méchancetés ou pour vanter un film, une pièce de théâtre, un livre ou une sculpture sans être ni cinéaste, ni metteur en scène, ni peintre ni sculpteur. Imagine-t-on un journaliste se mêlant de chirurgie et donnant des leçons de manipulation de bistouri à un chirurgien de Yalgado? Le ferait-il qu’on le mènera fissa à l’asile attenant au bloc opératoire car on le soupçonnerait d’avoir péter un plomb et même le gros câble de la raison. Alors pourquoi ce qui n’est pas admis dans la médecine ou tout autre domaine l’est dans les arts ? Pourtant un journaliste peut juger de la qualité d’un tableau ou de l’art d’un peintre même s’il ne sait par quel bout on tient un pinceau ni l’art de composer les couleurs. Que l’on retrouve le même bonhomme dissertant de cinéma sans être cinéaste, de théâtre sans en connaître les ficelles et même de danse contemporaine tout en étant incapable d’esquisser le moindre pas, voilà un mystère qui nous laisse pantois.

Pour leur défense, les critiques disent qu’ils sont avant tout des spectateurs et en tant que tels, ils ont le droit d’émettre un avis sur un spectacle, dire le plaisir qu’ils ont eu ou l’ennui. Mais c’est oublier qu’un spectateur, un vrai confie ses impressions au petit carré de ses intimes, il ne le crie pas à des milliers d’exemplaires dans les journaux et dans tous les foyers qui ont une télé. En plus, d’après nos enquêtes, les critiques ne paient jamais de ticket pour voir un spectacle et on leur réserve toujours les meilleures places de sorte qu’ils ne perdent aucune miette du spectacle. Et après, ces messieurs ont le culot de cracher sur le spectacle qui leur a été gracieusement servi. Quelle ingratitude ! Imagine-t-on un convive qui quitterait la table à manger en traitant son hôte d’empoisonneur ? Même quand ils en diraient du bien, on pourrait douter de leur sincérité parce que la bouche ne mord pas la main qui la remplit.
Cependant, il faut aussi se demander si les artistes ne méritent pas les bâtons et les carottes avariées des critiques. Il nous est effectivement difficile de comprendre pourquoi un homme voudrait que le monde entier voie la petite chose qu’il a bricolée dans sa solitude. Il aurait pu le montrer à sa femme ou à ses voisins mitoyens mais voilà qu’il se pique de le faire admirer de tout le monde. Les invite-t-il à venir gratuitement admirer sa création ? Non, ils les obligent à payer pour ça et il voudrait que le zig qui a claqué son oseille et qui n’est pas satisfait se la boucle. Il faut bien que quelqu'un lui dise que sa chose-là est une merde. C’est le critique qui devient le porte-parole de tous les déçus, il les venge des petites arnaques des artistes. Là, ce n’est que justice ! L’artiste a l’ego aussi gros qu’un ballon à hélium et il faut de temps à autre le dégonfler avec l’aiguille de la critique, ça participe de la thérapie de groupe. Il devient artriste mais ça ne dure pas une seconde.
D’ailleurs, quand un critique vante le travail d’un artiste, eh oui, il y en a qui sont de véritables cireurs de pompes, celui-ci se met à parader comme un paon. Peu lui importe que ces louanges soient méritées ou pas. Il court achète le journal pour lui et pour tous es amis, découpe l’article comme une relique et le range religieusement dans son press-book. Pour l’artiste, le bon critique n’est pas celui qui connait bien l’art et qui en parle avec justesse, c’est simplement le journaliste flagorneur qui lui tresse des lauriers et satisfait son envie d’être caresser dans le sens du poil. Comme des enfants qu’il faut flatter pour qu’ils mangent ou dorment, ils ont besoin de paroles mielleuses…
Et le lecteur dans tout ça ? Il semble qu’une critique favorable amène rarement un lecteur au théâtre ou à un vernissage. Après le boulot, il reste en pantoufles devant sa télé ou il s’encanaille dans un bar, rarement il va au spectacle. Par conséquent les lecteurs n’attentent pas du journaliste qu’il écrive une vraie critique, docte, juste, non, ils veulent un bel article. Toute la nuance est là ! En lisant les pages culture de leur journal, les lecteurs espèrent trouver « une semonce vertement menée, ou le cas échéant, un panégyrique réchauffant, mais l’un et l’autre écrits d’un jet, sans nuance, avec la passion et l’injustice qu’il faut pour retenir un minute l’attention ». disait Pierre-Aimé Touchard, un critique passé à l’ennemi.

En fait, à discuter des faits et des causes à propos des critiques, des artistes et des lecteurs, on perd son latin et même sa raison parce que c’est un panier de crabes. De toute façon, comme au Burkina Faso, il n’existe pas des critiques, il n’y a aucune raison d’en faire tout un foin !