Tout mur est une porte. Emerson

vendredi 18 mars 2011

8 mars : Mes héroïnes ordinaires.

I. Quatre coureuses dans la nuit
Il est minuit passé. Un léger vent souffle mais le bitume dégage toujours la chaleur accumulée dans la journée. Sur l’échangeur de l’Est, sur le terre-plein central, quatre adolescentes trottinent. Dégoulinantes de sueur, le visage déformé par l’effort, elles apparaissent et disparaissent entre les faisceaux des lampadaires. Elles s’entraînent pour les concours de recrutement de la fonction publique, vêtues de robes, des pagnes et des tongs. Pourtant un t-shirt, un short, des sandales sont plus seyant pour le footing. On trouve partout les maillots et les tennis grâce à la Chine qui inonde nos marchés de ces produits et les petits vendeurs ambulants les cèdent pour presque rien. Mais ce semble un bien grand luxe pour les parents de ces adolescentes. Assurer le repas quotidien, payer la scolarité, voilà leurs préoccupations. Aussi, ces jeunes filles sont-elles obligées de courir la nuit dans leurs pagnes. Cachant leur indigence dans le manteau de la nuit, loin du regard des citadins. Elles portent pourtant des rêves simples: être soldat, gendarme, policier, institutrice ou infirmière pour rompre le cercle de la misère. Pour que leur progéniture ait du pain et du linge. Et ne se cache plus pour faire du sport par manque de chaussures, de shorts et de T-shirts. Leurs foulées ne sont pas légères, elles martèlent le bitume comme leur cœur cogne dans la poitrine : avec la rage de changer de condition. Au carrefour, elles tournent vers Bendoogo, l’obscurité les happe…
II. Les balayeuses de la cité
Sur De Gaulle, il est quatre heures. Le matin se débat pour sortir de la gueule de la nuit mais les mâchoires obscures ne veulent lâcher leur étreinte. Un muezzin, sûrement irrité de sortir des draps avant d’avoir épuiser son provision de sommeil hurle sa colère dans les haut-parleurs. On distingue des silhouettes ployées sur le trottoir. Ce sont les balayeuses de la cité. La brigade verte. Parmi elles, deux vieilles femmes avec des gestes lourds. Elles ne portent ni masque ni gant. Juste un foulard pour cacher les cheveux. Les balais soulèvent des nuages de poussière qui les cernent. Chaque jour, la poussière s’engouffre dans la gorge, dans les poumons, dans les yeux. Elles s’enrhument, larmoient, toussent. Une ordonnance pourrait engloutir toute la paie. Mais pour elles, c’est du pain bénit. La maigre paie mensuelle est vitale pour améliorer l’ordinaire à la maison. Même malade, il faut venir faire sa peine. Souvent, on voit une balayeuse qui, prise de malaise, est assise ou allongée sur le bitume. C’est à ce prix-là que les artères de Ouagadougou sont propres chaque matin.
III. La vendeuse de légumes.
L’aube n’a pas encore lapé les dernières flaques d’obscurité. Il est cinq heures. Fanta entre à Ouagadougou endormie sur son vélo. Des corbeilles pleines de légumes et de fruits empilées sur son porte-bagages. Une charge trop lourde pour cette mère d’enfants si fluette. Dents serrées, ses maigres jambes appuient sur la pédale de toute leur force, la bicyclette avance péniblement. Chaque semaine, elle se lève avant le chant du coq, enfourche son vélo, roule quarante kilomètres pour venir dans la capitale vendre les produits de son potager. Des laitues, des poivrons, des courgettes, du haricot vert…des produits qu’elle ne mange jamais. Ni ses enfants. Des légumes pour les gens de la ville. Elle connaît le prix de son travail, elle en sait les sacrifices mais face aux revendeuses de Ouagadougou, elle est désemparée. Elle ne peut obtenir un bon prix. Aussi cède-t-elle sa provision pour n’importe quelle somme qui résout les urgences du moment telle une ordonnance à acquitter, un crédit à solder, du pétrole à acheter, un baptême à saluer, etc. Elle ramènera du café moulu pour son mari. Et Elle le retrouvera toujours dans ses couvertures, endormi.

Alcény Saïdou Barry