Tout mur est une porte. Emerson

lundi 20 septembre 2010

Ibrahima Mbaye: le comédien africain qui monte

Nous avons rencontré le grand comédien sénégalais. Il est venu à Ouagadougou jouer dans le second long métrage de Missa Hibié : « En attendant le vote ». C’est un artiste engagé et engageant. Portrait.


S’il est un comédien africain que les réalisateurs s’arrachent, c’est bien Ibrahima Mbaye. Au dernier Fespaco, il jouait dans plusieurs films en lice pour l’Etalon de Yennenga. C’est lui, le petit voyou qui séduit Katoucha dans Ramata de Léandre Alain-Baker, l’amoureux éconduit qui met le feu à un paisible village dans Les feux de Mansaré de Mansour Sora Wade, et l’ami indéfectible du personnage principal dans l’Absent de Mama Keita. Il a tourné dans Teranga Blues de Moussa Sène Absa, dans Africa Paradise du Beninois Amoussou et dans Clandestino de Olivier Langlois.

Le voir assis dans ce café de Goughin, on a de la peine à croire que ce jeune trentenaire de petit gabarit, qui parle en lâchant des ronds de fumée au-dessus de sa tête comme un adolescent est l’acteur qui dégage une énergie féline et dont la présence à l’écran s’impose au spectateur. On reconnaît les petits yeux vifs et presque bridés, la voix chaude et le phrasé martial mais l’envergure physique a disparu. C’est un jeune homme ordinaire, à l’allure commune qui fume sa cigarette en buvant de l’eau gazeuse. Au cinéma, il est tout autre, comme s’il apparaissait sous une loupe grossissante. C’est cela qui en fait un comédien très couru. Cette présence au cinéma. Peu de comédiens ont ce don, cette alchimie qui s’opère sur la pellicule et oblige les éléments à s’ordonner pour leur conférer une présence qui écrase ou subordonne tous les autres éléments alentours. Sur l’écran, Ibrahima Mbaye projette une sorte d’ectoplasme géant qui excède son propre reflet.

Pourtant à discuter avec Ibrahima Mbaye, on découvre que son succès de comédien n’est pas seulement bâti sur le don à impressionner fortement la pellicule ; c’est un travailleur acharné qui construit minutieusement ses personnages.
En plus, Ibrahima Mbaye a conscience que le cinéma, c’est avant tout la fabrique de l’image par la caméra. Il sait qu’il faut composer avec la caméra, avec la lumière et en rapport avec les êtres et les objets qui sont sur le plateau. Et cette connaissance du cinéma et de la topographie d’un plateau de tournage lui permet d’en tirer un meilleur parti. Un film est une bande de plans juxtaposés ; il s’agit pour le bon comédien de mettre de l’émotion et des postures dans des instants épars et non de dérouler un jeu cohérent comme au théâtre.
Il est comédien de théâtre et pensionnaire du théâtre national Daniel Sorano du Sénégal. Directeur de troupe privée, il fait aussi de la mise en scène. Fort de ce background et de sa connaissance du cinéma, il est un comédien qui discute les choix de mise en scène du réalisateur et défend ses propositions de jeu. Il n’est pas de ces comédiens qui se laissent docilement entre les mains d’un réalisateur et dont la qualité de la prestation repose sur ce dernier. Lui, son rapport au réalisateur est de co-construction du personnage.

Dans le film de Missa Hebié, il incarne Maclédio, un journaliste opposant politique qui se bat pour la démocratie. Et voilà qu’il retourne sa veste et devient l’âme damnée du tyran. Pour camper le journaliste félon, le comédien s’est laissé pousser les cheveux en une coupe afro et porte la barbichette et la moustache. Des lunettes aux montures dorées viennent complétées la panoplie de l’intello et lui donne un air de Trotski africain. Ce personnage de l’intellectuel girouette, c’est l’espèce qui prolifère plus vite qu’une jacinthe d’eau dans nos pays. De sorte que l’on a tendance à croire que c’est la pente naturelle des élites tropicales. Ibrahima Mbaye refuse cette vision qu’il trouve simpliste. De son personnage, il veut en faire un être complexe, ravagé par une tempête intérieure. On peut trahir les compagnons de lutte sans regret mais on ne se trahit pas impunément. Judas ne peut être un homme heureux! On attendra la sortie du film pour juger sur pièce.

Mais au-delà du comédien, c’est l’homme qui se tient derrière l’artiste qui vaut le détour. Ibrahima Mbaye est un artiste qui s’intéresse à la marche du monde. Et qui inscrit son art dans une démarche citoyenne. D’ailleurs ses choix de rôle sont dictés par la volonté de participer à des aventures panafricaines et à des films avec des réalisateurs dont les œuvres questionnent l’Afrique contemporaine. En venant tourner au Faso, il a voulu participer à l’adaptation filmique de « En attendant le vote des bêtes sauvages » de Ahmadou Kourouma parce que c’est donner une seconde vie au roman d’un écrivain africain très engagé et aussi découvrir par la même occasion le monde du cinéma Burkinabe.
Le passage du comédien sénégalais au Burkina est intéressant pour ces confrères Burkinabe. Gageons que de sa brève fréquentation, nos jeunes comédiens tireront d’utiles leçons de cinéma. Entre autres, que la connaissance du cinéma est fondamentale dans la réussite du comédien car le jeu de comédien au cinéma est différent du jeu théâtral. D’autre part, savoir qu’un comédien enrichit toujours la palette de son jeu et nourrit son monde intérieur en se cultivant. Le nombrilisme est un kwashiorkor de l’art.
Barry Saidou Alceny