Tout mur est une porte. Emerson

jeudi 2 septembre 2010

Jusqu'où l'art peut-il aller?

Jusqu’où l’Art peut-il aller ?

De plus en plus, les artistes osent tout. Ils ne reculent devant aucun tabou. L’Art contemporain traîne une odeur de soufre et de scandale et suscite incompréhension et colère des moralistes, de législateurs et des politiques. Bref l’Art provoque et dérange. Faut-il pour autant lui imposer des limites ?

La surenchère dans la provocation

En mi-août, juste après l’euphorie de la Coupe du monde qui a montré un peuple arc-en-ciel uni, un tableau suscite débats, colère et divise en Afrique du Sud. Un artiste peintre, Yuill Damaso s’est inspiré de la Leçon d’anatomie du Docteur Tulp de Rembrandt pour peintre la mort de Nelson Mandela. Sur le tableau, on voit Nelson Mandela gisant sur la table de dissection, le corps décharné et presque nu, les tripes dehors. Autour du cadavre, il y a l’icône du Sida mort à douze ans, Jonhson Nkozi tenant le bistouri et quelques hommes politiques tels Jacob Zuma, De klerk et Desmond Tutu. Ce tableau a suscité la colère parce que l’état de Nelson Mandela est précaire en ce moment et il est perçu comme un mauvais sort jeté sur l’illustre combattant de la liberté pour accélérer sa disparition

Le prof Gunther Von Hagen, lui, ne suggère pas la mort, elle est l’unique matériau de son travil. En effet, il expose des corps d’hommes, de femmes, d’enfants et des dépouilles d’animaux qu’il dépiaute grâce à une technique de plastination. Les cadavres sont écorchés…mort, la peau est retirée ainsi que les graisses et toute l’eau des chairs, de sorte qu’il reste des muscles et des fibres vernis qui défient l’éternité. Ses cadavres prennent des postures vivantes, miment des coureurs, des cavaliers, des couples enamourés pour le plaisir du public. Parfois il triture les chairs et les éparpille dans l’espace suivant ses illuminations du moment. Son exposition itinérante de cadavres « Our body, à corps ouvert » suscite partout des controverses, des tentatives d’interdiction de la part de l’Eglise et des comités d’éthique mais le public s’est précipite pour admirer les horreurs : plus de 700.000 visiteurs à Berlin.

De son côté, la photographe Sally Mann est célèbre pour avoir exposé les clichés de ses propres enfants, nus et dans des poses lascives, entre eux ou avec leur père. Il en émanait un air d’inceste et de pédophilie qui a suscité la polémique. Par ailleurs, elle est aussi photographe de cadavres ; elle expose des vus des cadavres en décomposition pris à Body Farm, une ferme dans la forêt du Tennessee où on laisse les morts se décomposer dans l’air pour les besoins d’études scientifiques de l’université de Tennessee.

On connaît par ailleurs les outrances de Jan Fabre, artiste protéiforme qui, quelque que soit le domaine artistique, théâtre, sculpture ou peinture, traîne dans son sillage un lourd parfum de scandale. Ses dessins sont faits avec son sang sous le prétexte que l’artiste est un martyr, ses autoportraits allient le bestiaire à l’humain et son visage se décline sous toutes les coutures pour, souligne-t-il, montrer notre animalité. Ainsi a-t-on droit à des œuvres telles un immense ver translucide avec le visage de Jan Fabre ou un fœtus avec une horrible tête ridée de vieillard. Sur scène, dans « l’Orgie de la tolérance » les comédiens se livrent à la débauche jusqu’à s’épiler le pubis sur scène.

Dans la littérature aussi, le sexe remplace de plus en plus le texte et les autofictions graveleuses, lubriques et sordides d’une Christine Angot deviennent des best-sellers en France. Tout se passe comme s’il suffisait de faire comptabilité de ses coucheries, des viols, sodomies et autres déviances sexuelles pour faire œuvre de création.

Chez nous, le bourgmestre de Ouagadougou connu pour son donquichottesque combat contre les lupanars de la capitale aurait fait une descente musclée dans une expo de photos de nus pour protéger nos bonnes mœurs. Heureusement l’expo n’attentait pas aux mœurs mais il est difficile de saisir la nuance entre le photographe de nu et le pornographe. La frontière entre les deux se révélant parfois aussi mince qu’un papier à cigarette !
Les artistes sont-ils tombés sur la tête ?
A énumérer tout cela, on vient à se demander si les artistes ne sont pas devenus fous. Mais à y réfléchir, ils ne sont que les fils légitimes d’une époque demandeuse d’outrance. Par conséquent pour espérer susciter l’intérêt d’une société anesthésiée par les horreurs du quotidien que charrient en continu les images télés, les artistes sont condamnés à la surenchère dans l’outrance. Le public actuel est impassible devant un Art qui se tiendrait dans les modestes proportions du normal. Pour le heurter, l’artiste doit aller fortissimo, les toucher dans ce qu’ils gardent précieusement comme valeurs sur Dieu, la famille et la sexualité. Ils se réfugient sous ses valeurs comme ils se réfugient sous un parapluie pendant un orage, c’est donc sur elles que l’Art contemporain porte l’estocade pour espérer ébranler la carapace d’indifférence.

D’une part, il faut reconnaître que la conception que nous avons de l’art et de l’artiste a définitivement changé à partir du 20ème siècle. En 1961 Marcel Duchamp en posant l’urinoir comme objet d’art, a définitivement changé la définition de l’œuvre d’art. Un glissement s’est opéré qui fait qu’un objet ne vaut plus par son esthétique mais par l’idée qu’il véhicule. De l’esthétique, on est tombé dans la philosophie de l’Art et l’artiste n’est plus un virtuose qui donne forme selon des canons bien définis. Il est devenu celui qui questionne la société et dont « le rôle est d’inquiéter » selon le credo d’André Gide. Et pour inquiéter ou ébranler, rien de tel que la démesure.
D’autre part, comme on a proclamé la mort de Dieu avec Nietzsche sans dessoucher le besoin du religieux chez les hommes, l’artiste a donc pris la place du prophète dans la société contemporaine. Hugo, Rimbaud, Chagall et maints autres ont imposé l’idée de l’artiste inspiré et visionnaire. Son discours est donc prophétique, annonciateur de Nouveau. Son œuvre doit être au-dessus des normes. C’est paradoxalement la société qui s’offusque des outrances de l’artiste qui lui a donné un blanc seing pour faire bouger les lignes, bousculer les certitudes et porter la cognée dans la bourse des valeurs. Il semble que dans la société traditionnelle moaga connue par la rigidité de son organisation, le Gandaogo jouait le rôle du transgresseur des tabous et permettait de faire tomber les lois éculées… L’artiste moderne joue aujourd’hui le même rôle. En ramenant tout a hauteur d’homme, en s’affranchissant du carcan de la morale, son art permet de questionner et de réévaluer les valeurs. Sa liberté de manœuvre lui permet d’attaquer les tabous et de faire reculer les bornes au bénéfice de toute la société.
Ainsi peindre la mort de Nelson Mandela au-delà du choc qu’il suscite légitimement permet de poser le problème de la finitude de tout homme, fut-il de la trempe de Nelson Mandela et aussi de l’après Mandela. Que sera la politique en Afrique du Sud sans la tutelle morale de Nelson Mandela ?
Exposer des cadavres révèle aussi un paradoxe de la société actuelle. Pourquoi les hommes vouent-ils un respect presque sacré aux morts bien qu’ils aient peu de respects pour ces morts lorsqu’ils étaient en vie ? Des hommes crèvent de faim et de froid sur les trottoirs dans l’indifférence de ceux qui se lèvent et murmurent une prière lorsque passe un cortège funèbre.

Par conséquent, l’Art malgré ses excès et ses provocations est utile pour interroger nos us. Il n’est donc pas nécessaire de brider les artistes par des législations. D’ailleurs, pour faire le tri entre la provocation gratuite d’un déjanté et la provocation heuristique d’un artiste, il y a un juge souverain : le public. Désavouée par son public, l’ersatz d’œuvre retombe rapidement dans l’oubli comme éclate bulle de savon et l’artriste comprend qu’il ne s’agit pas de plonger dans la boue et la merde pour émerger avec une oeuvre d’art.

Toutefois, il y a peut-être lieu de préserver l’espace public de certaine exposition qui peuvent heurter la candeur des enfants ou attaquer les croyances religieuses des citoyens. Mais qui va dans un musée ou une exposition doit accepter s’affronter à des œuvres qui peuvent le choquer.
Et franchement, finalement l’art montre toujours le monde, il en est la juste expression. Et c’est le regardeur qui crée le tableau disait Duchaaaamp. S’il y a profusion de sexe, de sang, de trash dans l’art, il n’est que le reflet du monde car il nous tend un miroir peut-être grossissant mais un miroir qui nous renvoie notre image !

Barry Alceny Saïdou